La démocratie

PANOSéANCE-2012D(VIERGE)-36CM

« Le meilleur argument contre la démocratie est une conversation de cinq minutes avec l’électeur moyen. » – Winston Churchill (1874-1965), Premier Ministre de la Grande-Bretagne de 1940 à 1945 et de 1951 à 1955

« La très grande majorité des penseurs grecs ont été hostiles à ce système [la démocratie] » – Yves-Marie Adeline, Histoire mondiale des idées politiques, 2007

La démocratie apparaît aujourd’hui comme une valeur sacrée, comme une véritable religion. Sans même prendre la peine de définir le terme, on l’associe immédiatement au Bien. Elle est un dogme de foi de notre monde contemporain qui vous place automatiquement dans le camp du Mal si vous osez la critiquer ou manifester votre non-adhésion.

N’étant pas de gauche, nous ne mélangeons pas le domaine politique et le domaine religieux. La démocratie n’est pas une Vérité révélée, elle est a priori du domaine politique. Nous nous permettrons donc de la critiquer.

Nous allons explorer cette notion de démocratie afin de comprendre le sens réel qui est donné à ce mot dans la société actuelle.

Nous allons découper cet article en deux parties : la démocratie dans son acception basique et superficielle telle qu’elle est comprise par la majorité des gens, et la démocratie dans son acception réelle et profonde telle qu’elle est entendue par les élites républicaines.

1) La démocratie dans son acception basique et superficielle :

La définition basique que l’on apprend à l’école est résumée par la formule : « Le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. »

Prenons cette phrase au premier degré.

Voici quelques citations montrant en quoi cette idée de démocratie est illusoire, vide de sens, et mène à un nivellement par le bas :

Le philosophe René Guénon :

« L’argument le plus décisif contre la « démocratie » se résume en quelques mots : le supérieur ne peut émaner de l’inférieur, parce que le « plus » ne peut pas sortir du « moins » ; cela est d’une rigueur mathématique absolue, contre laquelle rien ne saurait prévaloir. Il importe de remarquer que c’est précisément le même argument qui, appliqué dans un autre ordre, vaut aussi contre le « matérialisme » ; il n’y a rien de fortuit dans cette concordance, et les deux choses sont beaucoup plus étroitement solidaires qu’il ne pourrait le sembler au premier abord. Il est trop évident que le peuple ne peut conférer un pouvoir qu’il ne possède pas lui-même ; le pouvoir véritable ne peut venir que d’en haut, et c’est pourquoi, disons-le en passant, il ne peut être légitimé que par la sanction de quelque chose de supérieur à l’ordre social, c’est-à-dire d’une autorité spirituelle; s’il en est autrement, ce n’est plus qu’une contrefaçon de pouvoir, un état de fait qui est injustifiable par défaut de principe, et où, il ne peut y avoir que désordre et confusion. Ce renversement de toute hiérarchie commence dès que le pouvoir temporel veut se rendre indépendant de l’autorité spirituelle, puis se la subordonner en prétendant la faire servir à des fins politiques ; il y a là une première usurpation qui ouvre la voie à toutes les autres, et l’on pourrait ainsi montrer que, par exemple, la royauté française, depuis le XIVe siècle, a travaillé elle-même inconsciemment à préparer la Révolution qui devait la renverser ; Peut-être aurons-nous quelque jour l’occasion de développer comme il le mériterait ce point de vue que, pour le moment, nous ne pouvons qu’indiquer d’une façon très sommaire.

Si l’on définit la « démocratie » comme le gouvernement du peuple par lui-même, c’est là une véritable impossibilité, une chose qui ne peut pas même avoir une simple existence de fait, pas plus à notre époque qu’à n’importe quelle autre ; il ne faut pas se laisser duper par les mots, et il est contradictoire d’admettre que les mêmes hommes puissent être à la fois gouvernants et gouvernés, parce que, pour employer le langage aristotélicien, un même être ne peut être « en acte » et « en puissance » en même temps et sous le même rapport. Il y a là une relation qui suppose nécessairement deux termes en présence : il ne pourrait y avoir de gouvernés s’il n’y avait aussi des gouvernants, fussent-ils illégitimes et sans autre droit au pouvoir que celui qu’ils se sont attribué eux-mêmes ; mais la grande habileté des dirigeants, dans le monde moderne, est de faire croire au peuple qu’il se gouverne lui-même ; et le peuple se laisse persuader d’autant plus volontiers qu’il en est flatté et que d’ailleurs il est incapable de réfléchir assez pour voir ce qu’il y a là d’impossible. C’est pour créer cette illusion qu’on a inventé le « suffrage universel » : c’est l’opinion de la majorité qui est supposée faire la loi ; mais ce dont on ne s’aperçoit pas, c’est que l’opinion est quelque chose que l’on peut très facilement diriger et modifier ; on peut toujours, à l’aide de suggestions appropriées, y provoquer des courants allant dans tel ou tel sens déterminé ; nous ne savons plus qui a parlé de « fabriquer l’opinion », et cette expression est tout à fait juste, bien qu’il faille dire, d’ailleurs, que ce ne sont pas toujours les dirigeants apparents qui ont en réalité à leur disposition les moyens nécessaires pour obtenir ce résultat. Cette dernière remarque donne sans doute la raison pour laquelle l’incompétence des politiciens les plus « en vue » semble n’avoir qu’une importance très relative ; mais, comme il ne s’agit pas ici de démonter les rouages de ce qu’on pourrait appeler la « machine à gouverner », nous nous bornerons à signaler que cette incompétence même offre l’avantage d’entretenir l’illusion dont nous venons de parler : c’est seulement dans ces conditions, en effet, que les politiciens en question peuvent apparaître comme l’émanation de la majorité, étant ainsi à son image, car la majorité, sur n’importe quel sujet qu’elle soit appelée à donner son avis, est toujours constituée par les incompétents, dont le nombre est incomparablement plus grand que celui des hommes qui sont capables de se prononcer en parfaite connaissance de cause. Ceci nous amène immédiatement à dire en quoi l’idée que la majorité doit faire la loi est essentiellement erronée, car, même si cette idée, par la force des choses, est surtout théorique et ne peut correspondre à une réalité effective, il reste pourtant à expliquer comment elle a pu s’implanter dans l’esprit moderne, quelles sont les tendances de celui-ci auxquelles elle correspond et qu’elle satisfait au moins en apparence.

Le défaut le plus visible, c’est celui-là même que nous indiquions à l’instant : l’avis de la majorité ne peut être que l’expression de l’incompétence, que celle-ci résulte d’ailleurs du manque d’intelligence ou de l’ignorance pure et simple ; on pourrait faire intervenir à ce propos certaines observations de « psychologie collective », et rappeler notamment ce fait assez connu que, dans une foule, l’ensemble des réactions mentales qui se produisent entre les individus composants aboutit à la formation d’une sorte de résultante qui est, non pas même au niveau de la moyenne, mais à celui des éléments les plus inférieurs.

(…)

Cela dit, il nous faut encore insister sur une conséquence immédiate de l’idée « démocratique », qui est la négation de l’élite entendue dans sa seule acception légitime ; ce n’est pas pour rien que « démocratie » s’oppose à « aristocratie », ce dernier mot désignant précisément, du moins lorsqu’il est pris dans son sens étymologique, le pouvoir de l’élite. Celle-ci, par définition en quelque sorte, ne peut être que le petit nombre, et son pouvoir, son autorité plutôt, qui ne vient que de sa supériorité intellectuelle, n’a rien de commun avec la force numérique sur laquelle repose la « démocratie », dont le caractère essentiel est de sacrifier la minorité à la majorité, et aussi, par là même, comme nous le disions plus haut, la qualité à la quantité, donc l’élite à la masse. Ainsi, le rôle directeur d’une véritable élite et son existence même, car elle joue forcément ce rôle dès lors qu’elle existe, sont radicalement incompatibles avec la « démocratie», qui est intimement liée à la conception « égalitaire », c’est-à-dire à la négation de toute hiérarchie : le fond même de l’idée « démocratique » c’est qu’un individu quelconque en vaut un autre, parce qu’ils sont égaux numériquement, et bien qu’ils ne puissent jamais l’être que numériquement. Une élite véritable, nous l’avons déjà dit, ne peut être qu’intellectuelle ; c’est pourquoi la « démocratie » ne peut s’instaurer que là où la pure intellectualité n’existe plus, ce qui est effectivement le cas du monde moderne. »

Le philosophe Julius Evola :

« La démocratie, dit-on, c’est le gouvernement du peuple par lui-même. La volonté souveraine est celle de la majorité, laquelle l’exprime librement, à travers le vote, dans le symbole de ses représentations, qui sont tenus de se dévouer à l’intérêt général.

Mais on aura beau insister tant que l’on voudra sur l’ « autogouvernement », il y aura toujours une distinction entre gouvernés et gouvernants, dans la mesure où il est impossible qu’un ordre étatique se constitue si la volonté de la majorité ne se concrétise pas dans des personnes particulières, auxquelles on confie le gouvernement. Il est évident que ces personnes ne seront pas choisies par hasard : ce seront celles chez qui l’on croit reconnaître une plus grande capacité, donc, bon gré mal gré, une supériorité sur les autres, si bien qu’elles ne seront pas considérées comme de simple porte-parole : on supposera chez elles un commencement d’autonomie, une initiative en matière législative.

On voit donc apparaître, au sein du démocratisme, un facteur antidémocratique, qu’il cherche vainement à réprimer par les principes de l’élection et de la sanction populaire. Nous disons vainement pour la raison suivante : la supériorité des supérieurs s’exprime notamment dans le fait qu’ils sont capables de discerner ce qui, vraiment, est valeur, de même qu’ils sont capables de hiérarchiser les vraies valeurs, en les ordonnant les unes aux autres. Or, les principes démocratiques bouleversent entièrement la chose, dans la mesure où ils remettent le jugement (tant à l’égard de l’élection qu’à l’égard de la sanction) qui doit décider qui est supérieur, à la masse, c’est-à-dire à l’ensemble de ceux qui, par hypothèse, sont les moins aptes à juger, ou dont le jugement se borne nécessairement aux valeurs inférieures de la vie la plus immédiate. C’est pourquoi, en régime démocratique, on peut être certain que ceux qui savent envisager les meilleurs horizons (fussent-ils chimériques – comme l’enseigne l’expérience communiste) en fonction de l’unité pratique, prédomineront fatalement sur les autres. C’est dans cette erreur – semblable à l’erreur de ceux qui, après avoir admis que les aveugles doivent être guidés par ceux qui voient, exigeraient que la décision de savoir qui voit, ou non, fût remise aux aveugles – que réside donc la principale cause de la dégradation moderne de la réalité politique, dénoncée par nous, en réalité économico-administrative.

Une objection possible, il est vrai, subsiste : à savoir que le bien-être matériel contrôlable par le peuple peut-être un compagnon favorisant un développement d’ordre supérieur. Mais cette thèse est discutable. Le fait est que des valeurs nouvelles sont apparues à des moments de crise sociale, faisant ainsi prendre à l’histoire des directions jusque-là inconnues, alors que les « délices de Capoue », les périodes d’opulence économique ont souvent provoqué engourdissement et stagnation dans la vie de l’esprit. C’est un reflet de ce qui arrive dans la vie individuelle, où certaines valeurs naissent plutôt sur le terrain de la souffrance, du renoncement, de l’injustice même, et où un certain degré de tension, une certaine intensité du « vivre dangereusement » à tous points de vue, est le meilleur levain pour tenir éveillé le sentiment de l’esprit en acte. Mais, sans vouloir insister sur ce point, nous nous contenterons de demander : selon quel critère la masse de la multitude reconnaître-t-elle ceux qui doivent la diriger, car capables de se soucier aussi de valeurs supérieures, bien que sur la base des valeurs matérielles ?

En réalité, le démocratisme vit sur une prémisse optimiste tout à fait gratuite. Il ne se rend pas compte du tout du caractère absolument irrationnel de la psychologie des masses. Comme nous y avons fait allusion plus haut, en parlant des idées-forces, la masse est portée, non par la raison, mais par l’enthousiasme, l’émotion, la suggestion. Comme une femelle, elle suit celui qui sait le mieux la fasciner, lui faire peur ou l’attirer, avec des moyens qui, en eux-mêmes, n’ont rien de logique. Comme une femelle, elle est inconstante, et passe de l’un à l’autre, sans que cette transition puisse être uniformément expliquée par une loi rationnelle ou un rythme progressif. La superstition du « progrès » spécialement, quand on rapporte celui-ci non au simple fait de se rendre compte que les choses vont mieux ou pis du point de vue matériel, mais au passage d’un critère matériel à un critère de jugement plus élevé, est une superstition occidentale, contre laquelle nous ne saurions jamais réagir assez énergiquement. Il est possible de parler d’autogouvernement des masses, en attendant, on peut laisser à la collectivité le droit d’élection et de sanction, car ce que nous venons de dire ne serait pas vrai, vrai étant le fait que le « peuple » peut être considéré comme une seule intelligence, un seul grand être, vivant d’une vie une, propre, consciente et rationnelle. Mais cela est un pur et simple mythe optimiste, qu’aucune considération sociale ou historique positive ne confirme, et qui a été inventé uniquement par une race d’esclaves qui, ne supportant pas de vrais chefs, cherchèrent un masque pour cacher leur présomption anarchique de pouvoir se débrouiller seuls dans une petite vie embourgeoisée.

Ainsi, cet optimisme, prémisse du démocratisme, est aussi, et éminemment, une prémisse des doctrines anarchistes. Conduit à une forme rhétorique et théologisée, il réapparaît encore au fondement des courants mazziniens et de la théorie même de l’ « État absolu ». « 

Le philosophe politique Charles Maurras :

« La démocratie n’est pas un fait. La démocratie est une idée. Cette idée inspire des lois. Et ces lois et ces institutions se révèlent de jour en jour plus désastreuses, destructives et ruineuses, plus hostiles aux tendances naturelles des mœurs héréditaires et des coutumes d’un grand peuple, au jeu spontané des intérêts et au développement du progrès. Pourquoi ? Parce que l’idée démocratique est fausse, en ce qu’elle est en désaccord avec la nature. Parce que l’idée démocratique est mauvaise en ce qu’elle soumet constamment le meilleur au pire, le supérieur à l’inférieur : au nombre la qualité, c’est-à-dire la compétence et l’aptitude. »

À l’inverse, les propos réalistes et de bon sens de l’historien Jean-Paul Clément nous rappelle que :

« L’existence d’une minorité dirigeante est un trait universel de toutes les sociétés organisées, quelle qu’en soit la forme social et politique, féodale ou capitaliste, esclavagiste ou collectiviste, monarchique, oligarchique, démocratique ; quelles que soient les constitutions, les lois, les professions et les croyances. Il en a toujours été ainsi. Comme l’a montré magistralement Mosca, les sociétés humaines se sont toujours organisées selon le principe aristocratique. Les aristocraties ont changé de nature, mais elles sont inhérentes à l’humanité, quelque forme qu’elles prennent et quelles que soient les idéologies, foncièrement aristocratiques ou égalitaristes.« 

Le philosophe Nicolas Berdiaev :

« L’idée aristocratique exige la domination réelle des meilleurs ; la démocratie, la domination formelle de tous… Tout ordre vital est hiérarchique, il a son aristocratie. Seul un amas de décombres n’est pas hiérarchisé et aucune qualité aristocratique ne s’en dégage… Se reconnaître, se vouloir, se chercher toujours plus de devoirs est une attitude aristocratique. Réclamer des droits est une attitude commune. L’aristocratie n’est pas une classe, c’est un principe spirituel.« 

L’essayiste Jacques du Perron :

« Si l’on veut établir l’égalité sur terre, le régime politique qui s’impose c’est la démocratie. La Gauche préconise donc cette dernière, la pare de toutes les vertus, et la proclame le meilleur des régimes. C’est encore une preuve de l’idéalisme de gauche, car la réalité ne confirme pas ce jugement, bien au contraire. Nous ne referons pas la critique de la Démocratie, critique accomplie depuis fort longtemps, depuis Platon et Aristote, nous nous contenterons de renvoyer nos lecteurs à l’œuvre de Maurras, dans son ensemble, qui devrait condamner définitivement la Démocratie si nos contemporains n’avaient pas l’esprit obnubilé par les idées de gauche.« 

L’auteur de cet article prend des exemples concrets qui montrent l’absurdité du système démocratique : http://www.bvoltaire.com/de-la-democratie/

On comprend que la démocratie prise dans ce sens basique est anti-naturelle, utopique et absurde et qu’il y a toujours une élite qui dirige. Mais est-ce que les politiciens évoquent la démocratie dans ce sens là ? Non, puisqu’ils sont cette élite et que le reste du peuple reste passif.

Creusons.

Le philosophe Alain de Benoist nous dit :

« La démocratie est un régime qui se fonde sur la souveraineté du peuple, ce qui signifie qu’un pouvoir, pour être légitime, doit pouvoir recueillir l’approbation ou le consentement des citoyens.« 

D’abord, tout ce qui constitue l’establishment – personnel politique, médias, presse subventionnée, culture officielle, écoles, institutions, finance, etc. est de gauche car la société dans laquelle nous vivons est basée sur la philosophie de gauche. Les médias subventionnés et le système éducatif façonnent et conditionnent les esprits de manière à ce que la population soit de gauche et pense selon des critères de gauche. Donc la pensée de la population est façonnée par ce Pouvoir.

Ensuite, la population qui a été complètement gauchisé est appelée à voter pour deux partis de gauche, dont l’un fait croire qu’il est de droite. Dans les systèmes démocratiques, on a donc affaire à une sorte de parti unique à deux têtes, car le fond idéologique est exactement le même entre les deux. On appelle « droite » ou « conservateur » les partis de fausse droite et « extrême-droite » dès qu’on se rapproche de la droite (pour approfondir voir cet article). On maintient un faux clivage entre deux partis de gauche qui donne une illusion de choix qui au final sert toujours la République (donc l’idéologie de gauche).

L’historien Ghislain de Diesbach l’a bien compris : « Il existe en France actuellement deux grands partis de gauche, dont l’un s’appelle la droite » (2007)

Le consentement des citoyens a été façonné en amont par le Pouvoir de manière à ce que le vote aille toujours dans le sens des deux principaux partis de gauche. Le consentement des citoyens est tel que le Pouvoir le décide.

C’est donc un système qui s’auto-alimente en faisant croire au badaud qu’il a un libre choix et que le pouvoir vient de lui. Le vote est conditionné par l’opinion qui elle-même est fabriquée par le Pouvoir qui a son tour est validé par le vote qu’il a lui-même engendré.

Le philosophe Jean-Jacques Rousseau avait théorisé l’esprit de ce système de manipulation dans L’Émile :

« Qu’il croie toujours être le maître et que ce soit toujours vous qui le soyez. Il n’y a point d’assujettissement si parfait que celui qui garde l’apparence de la liberté; on captive ainsi la volonté même. Le pauvre […] qui ne sait rien, qui ne peut rien, qui ne connaît rien, n’est-il pas à votre merci ? Ne disposez-vous pas par rapport à lui de tout ce qui l’environne ? N’êtes-vous pas le maître de l’affecter comme il vous plaît ? Ses travaux, ses jeux, ses plaisirs, ses peines, tout n’est-il pas dans vos mains sans qu’il le sache ? Sans doute, il ne doit faire que ce qu’il veut ; mais il ne doit vouloir que ce que vous voulez qu’il fasse ; il ne doit pas faire un pas sans que vous ne l’ayez prévu, il ne doit pas ouvrir la bouche que vous ne sachiez ce qu’il va dire. »

Appliquez au peuple ce que Rousseau dit ici de l’enfant, et vous avez la parfaite description de la démocratie moderne : l’autorité visible, connue de tous et pleinement responsable de ses décisions, a été remplacée par la manipulation occulte, mais le manipulé se croit « libre ».

Enfin, dès que la population s’écarte de ce qui est voulu par ce Pouvoir de gauche et que l’opinion bascule vers la droite, la démocratie ne fonctionne plus. Le Pouvoir de gauche n’est favorable à la démocratie que si elle va dans son sens.

L’imposture est confirmée par les informations glanées dans l’actualité :

« Le patron de Goldman Sachs recommande d’ignorer le Brexit »

« Pourquoi nous demandons au Conseil d’Etat d’annuler les élections régionales » – Par Thomas Guénolé, politologue et Jérémy Afane-Jacquart, avocat au barreau de Paris – 30 novembre 2015

“Pour diriger le Conseil, être au moins franc-maçon ou syndicaliste” – Enquête sur la gabegie au Conseil économique, social et environnemental (donc être de gauche au final)

« Autriche : Le nouveau président « empêchera » la formation de tout gouvernement populiste, même élu démocratiquement »

« On peut quand même se poser la question du suffrage universel… !? »
Jean-Michel Apathie, le 10 novembre 2016 sur BFM TV, au cours d’un débat sur la victoire de Donald Trump
Les mêmes cadres des médias dominants qui n’ont de cesse de dénoncer le « fascisme » supposé de leurs opposants sont les mêmes qui discutent désormais ouvertement de la suppression du droit de voter – et de s’exprimer – des masses populaires.

« Juncker déplore le « manque d’amour » des Européens pour l’UE… et demande l’arrêt des référendums
Le président de la Commission européenne craint le résultat des élections autrichiennes du 4 décembre [2016]. Selon lui, les Etats ne devraient pas consulter leurs peuples sur la question de l’UE, car cela «rajouterait de la défiance à la défiance». » (RT)

« Trump : le peuple a-t-il toujours raison ? » – Titre de l’émission « C Polémique » du 15 janvier 2017 sur France 5

« Il faut arrêter de dire que le peuple a toujours raison ! » – Daniel Cohn-Bendit, France Inter, juillet 2016

« Les référendums ça tue la démocratie » – Philippe Val, ex-directeur de Charlie Hebdo

Bref, le système dominant est de gauche, il produit des gens de gauche, il produit une société de gauche, où forcément il doit y avoir une certaine unité de pensée pour fonctionner correctement. C’est ici que l’on s’aperçoit de l’arnaque de la démocratie telle qu’elle est entendue habituellement. La gauche démontre par elle-même que son système est impossible à mettre en place. Il est autorisé à ne pas être de gauche à condition que cela reste très minoritaire et n’influence pas le reste de la société.

De plus, en parallèle la démocratie favorise le règne de l’argent et des puissances économiques au détriment du politique et du bien commun.

Extrait d’un texte d’Henry Coston paru en préface à L’Argent et la Politique (1994) :

« L’électeur se figure que c’est lui qui élit son député. Il lui délègue, effectivement, ses pouvoirs souverains, mais l’élu n’est pas, pour autant, son véritable représentant. Souverain débonnaire et confiant, l’électeur n’exerce pas vraiment sa souveraineté. Une fois qu’il a déposé dans l’urne, tous les cinq ans, son bulletin de vote, il a transformé son mandataire et l’a fait entrer dans le Système qui fait des parlementaires et des gouvernants, sauf très rares exceptions, les serviteurs, parfois les laquais, des puissances d’argent.
Car le Système n’est démocratique que de nom. En fait, il fonctionne sous
le contrôle étroit des oligarchies financières, qui règlent la note de sa campagne électorale et qui subventionnent son parti.
Les récents scandales dits « des fausses factures » ont révélé que, pour remplir les caisses, plusieurs partis usaient de ce procédé et profitaient de leurs relations et de leur pouvoir pour monnayer leurs interventions au niveau municipal ou départemental : la multiplication des super-marchés qui éliminent les petits commerçants et favorisent la désertification des campagnes n’a été possible, après la loi Royer qui devait limiter leur nombre, que grâce à la corruption des élus et des partis.
Toute campagne électorale coûte cher. Il faut éditer un journal pour défendre ses idées et, au besoin, couvrir l’adversaire d’injures. Il faut offrir l’apéritif aux petits électeurs et un bon repas aux électeurs influents. Il faut rétribuer les services des agents électoraux et des « costauds » chargé de la bonne tenue des réunions. Parfois même, pour décider les électeurs un peu hésitants, faut-il leur remettre un petit « cadeau» pour leur famille ou un petit « souvenir » pour eux-mêmes. Cela représente, pour une circonscription moyenne, plusieurs centaines de milliers de francs (la loi a fixé le total à un maximum de 500000 F). A condition que le candidat puisse trouver à emprunter cet argent dans son entourage, il lui faudra des années pour le rembourser. Les trois-quarts de son indemnité parlementaire y passeront. […] »

Déjà dans l’entre-deux-guerres, Jacques Bainville constatait dans l’hebdomadaire Candide :

« Tout se passe comme si le respect de la ploutocratie était une conception de socialistes. Le résultat, c’est qu’on charge maintenant les banquiers de décider du sort des peuples par-dessus la tête de leurs gouvernements. C’est ce qu’on appelle la démocratie. Et l’on est un réactionnaire quand on se permet de douter que ce soit un progrès. »

Si l’on sort de l’optique purement politicienne et que l’on regarde la souveraineté du peuple du point de vue historique, où se trouve t-elle ? Est-ce que le peuple français à voulu le coup d’État révolutionnaire de 1789 ? Est-ce qu’il a voulu la mort du roi ? Est-ce qu’il a voulu la mise en place de la République ? Est-ce qu’il a voulu sa propre déchristianisation ? Est-ce qu’il a voulu l’Union Européenne ? Est-ce qu’il a voulu l’immigration de masse qui progressivement le remplace ? Est-ce que le peuple français a voulu tout cela à l’origine ? Est-ce que la décision est venu de lui à l’origine ? Où est la volonté du peuple ? Elle n’existe pas.

Donc au final, cette souveraineté du peuple est un mensonge.

Et pourtant on nous parle quand même de démocratie !

Qu’est-ce qu’il faut comprendre alors ? Que la démocratie signifie autre chose que le sens classique qu’on lui prête habituellement ?

Approfondissons encore.

Christophe Buffin de Chosal dans son livre La fin de la démocratie nous dit :

« Ce que la [notre] démocratie attend du peuple, c’est la légitimité. Elle n’a que faire de son opinion. »

Il faut donc comprendre ici que l’autorité du pouvoir est le peuple, à l’endroit même où Dieu est l’autorité du pouvoir dans le système chrétien. Le peuple a pris la place de Dieu dans la source du pouvoir.

Charles Maignen disait en 1892 :

« Ce qui divise la France en deux camps, ce n’est pas la forme du gouvernement, c’est le principe de l’autorité. Nous sommes en présence de deux doctrines : celle de l’Eglise : « Tout pouvoir vient de Dieu », et celle de la Révolution  : « Tout pouvoir vient du peuple ». »

Il y a donc démocratie quand l’autorité est placé dans le peuple.

L’URSS était considérée comme une démocratie car l’autorité était dans peuple. Dans la constitution de l’URSS du 7 octobre 1977 il y avait écrit que « tout le pouvoir en URSS appartient au peuple » (art. 2).

Le site viveleroy.fr peut donc constater à juste titre :

« Assurément la tragédie du temps présent est la perte de l’autorité. De temps à autres les médias se font l’écho de ce constat à l’occasion d’une révolte de banlieue ou après l’agression d’un professeur.
Mais la fièvre retombée, on oublie très vite les signaux d’alarme pour reprendre en chœur le credo des idéologies égalitaristes : « autorité = inégalité = injustice ». Nombreuses sont les personnalités politiques ou du spectacle qui font de l’esprit de révolte contre l’autorité, un espoir sinon une vertu.
Tout pouvoir n’émanant pas des urnes devient oppression ; même le pouvoir des élus est détesté car l’élection leur confère une supériorité sur les autres électeurs. La démocratie les pare d’un ersatz d’autorité et c’est encore trop : le pouvoir est trop visible, trop humain, trop personnel. »

Une autorité supérieure ne doit pas exister, le pouvoir doit émaner du peuple.

Donc l’autorité doit être dans le peuple, mais quand ce peuple est en désaccord avec ce qui est fait et pensé par ses élites politiques, c’est quand même la démocratie. Ou à l’inverse, quand ce peuple vote mal, c’est-à-dire dans une direction opposée à celle souhaitée par la gauche et le mondialisme, la démocratie ne fonctionne plus. On retombe sur les exemples cités plus haut montrant l’imposture démocratique.

Alors qu’est-ce que tout cela veut dire ?

Pourquoi un des grands républicains (entendre « homme de gauche ») du XIX° siècle, Arthur Ranc, tourné vers la droite de l’assemblée a t-il pu s’écrier : « Si vous êtes une infime minorité, nous vous mépriserons ; si vous êtes une forte minorité, nous vous invaliderons ; si vous êtes la majorité, nous prendrons le fusil et nous descendrons dans la rue » ?

Pourquoi constatons-nous aujourd’hui cette même mentalité chez les gens de gauche ?

Par exemple, le Front National (qui n’est pas un véritable parti de droite) subit les mêmes attaques. Quand il est une infime minorité, les hommes de gauche qui tiennent la société le méprisent. Quand il devient une forte minorité, on demande l’invalidation comme dans le cas où il gagnerait les élections présidentielles de 2017.

Un éminent juriste de la « Ligue des Droits de l’Homme » nous apporte un début de réponse : « La volonté de la majorité n’est pas une catégorie absolue… dans un grand nombre de cas, les « délibérations du peuple » n’ont pas de valeur pour la conscience juridique de la démocratie… Le fait majoritaire n’est pas un facteur décisif pour l’éthique démocratique. A l’inverse, le défaut de majorité arithmétique n’enlève pas son caractère démocratique à la France de la Convention… La Convention nationale représente-t-elle la majorité des électeurs français en 1792 ? Non, bien sûr… les Citoyens « pensants et agissants » n’étaient qu’une infime minorité. Lorsqu’un pays vote librement (le mot est souligné par l’auteur de l’article) contre la liberté, ce choix, sur le plan moral et institutionnel, est illégal » (Mirkine-Guetzévitch, Revue philosophique, juillet-septembre 1952, pp. 448-449).

Qu’est-ce que cela signifie ?

2) La démocratie dans son acception réelle et profonde :

Comme souvent la pensée de gauche a une dimension occulte qu’il est difficile de comprendre. Ce qu’on appelle démocratie correspond en fait à une vision philosophique (et religieuse) de gauche. On cherche à comprendre le système de gauche comme on cherche à comprendre le fonctionnement d’une machine, ce qui nous rend incapable de comprendre la logique de gauche. On prend la démocratie pour un système d’organisation rationnel alors que la gauche vise autre chose derrière ce mot.

Deux auteurs vont nous permettre de comprendre le sens réel et profond de ce qu’est la démocratie depuis plus de deux siècles : Maxence Hecquard et Claude Polin.

a) Maxence Hecquard et son livre Les fondements philosophiques de la démocratie moderne :

Comme le montre l’auteur dans son livre, la démocratie moderne fut d’abord une idée, puis un idéal, avant de devenir une idéologie, qui accoucha d’une véritable religion. Maxence Hecquard souligne que la démocratie moderne n’est intelligible « qu’au travers d’une métaphysique du devenir qui lui donne sa cohérence ». Essentiellement rupture avec l’ordre naturel, la démocratie moderne sacrifie le politique à une morale sans Dieu. Les fondements de la démocratie moderne émanent de la philosophie d’Épicure. Philosophie où l’univers est un tout qui s’explique par-lui même et évolue. Un monde pensé sans Dieu.

Résumé du livre par Michel Fromentoux :

« Que se cache-t-il derrière la magie du mot démocratie ? En lisant le grand livre de Maxence Hecquard Les fondements philosophiques de la démocratie moderne, on voit bien vite que la démocratie n’est rien, mais que, pour notre malheur, elle est devenue tout.

Le philosophe catholique, diplômé de l’ESSEC, a entrepris une oeuvre colossale, que le préfacier, le professeur Pierre Magnard, salue comme « un réquisitoire en bonne et due forme, parfaitement instruit et argumenté », ajoutant : « Toute l’histoire de la pensée politique moderne et contemporaine est citée à comparaître et ses témoignages sont enregistrés avec la plus grande rigueur. » L’ouvrage n’est pourtant point rébarbatif. Tout juste un peu déroutant dans les premières pages quand l’auteur démonte la machine en déposant les pièces souvent contradictoires avant de procéder au remontage et de chercher comment la société en est arrivée à s’identifier dans la démocratie… Et là, Maxence Hecquard n’a plus aucun mal à nous passionner, autant qu’il l’est lui-même, par son sujet.

RIEN

La démocratie moderne n’a rien de commun avec celle des Anciens qui se présentait comme un système avec ses avantages et ses inconvénients. Aujourd’hui elle est, dit l’auteur, une « idéologie », « une idée devenue désir » au point d’être une « démocratie d’obligation », « une religion », ou plus exactement un « substitut » de religion.

L’auteur est alors au coeur de la question : « la démocratie est une négation ». Tout en elle est rupture, avec Dieu, comme avec la philosophie occidentale aristotélicienne et thomiste, surtout au sujet de la notion de Nature. Les Anciens « pensent qu’il existe un ordre dans la nature. C’est précisément cet ordre que récusent les autres : leur liberté en est la libération et leur égalité – qui est le principe formel de la démocratie – en est la négation. Cet ordre de la nature est alors remplacé par un ordre artificiel, positif, un ordre juridique. »

Les personnes, mais aussi les nations, les familles et autres communautés n’ont plus d’autres fins que celles qu’elles se donnent elles-mêmes. Or pour “souder” cette masse informe qu’est devenue une société ainsi fondée, on a inventé le dogme des Droits de l’Homme ! Mais ces droits d’un individu solitaire et autonome tendent forcément à être contradictoires ; alors il faut des lois, des lois dûment écrites, fondées sur le contrat social, transformant l’État en une « mécanique juridique ». Des lois tendant à s’imposer comme la « morale » et rendant suspectes les lois non écrites, les us et coutumes, forgées par l’histoire et par la religion chrétienne.

Toutefois, étudiant les notions de souveraineté, de peuple, de représentation, d’élite, de vertu, Maxence Hecquard explique pourquoi, isolée toujours plus du réel, ignorant toute finalité, restant toujours dans l’indéterminé, la démocratie sait promouvoir plus de démagogues que de vertueux, impuissante qu’elle est à gouverner pour le bien commun, comme d’ailleurs ses inspirateurs, à commencer par Rousseau, le savaient fort bien. Un État en France ne semble gouvernable que dans la mesure où il lui reste quelques éléments de monarchie… Conclusion : « la démocratie n’existe pas. »

TOUT

Et pourtant elle est là et bien là… Le fait qu’elle soit « une idée à construire » la pare de toutes les vertus, car, de Condorcet à Darwin, de Kant à Hegel et à Theilhard de Chardin, elle s’est confondue avec le mythe du progrès qui comble le vide laissé par la “mort de Dieu”. C’est pourquoi elle est aujourd’hui la morale suprême, car la liberté, pure négation de la détermination, est à la source du “Progrès”. Autrefois « la morale était la règle de la liberté, désormais la liberté détermine la règle morale ». La démocratie est elle-même impératif catégorique. C’est le règne de la « bonne volonté », seul est bon l’acte accompli “librement”. La charité elle-même s’en trouve dévoyée en humanitarisme.

La religion traditionnelle, dès lors, doit se plier aux limites de la simple raison, parfois même servir d’auxiliaire (on pense à Vatican II…) : « la démocratie chrétienne est moins un christianisme qui se fait démocrate qu’une démocratie qui se sert du christianisme. »

Beau résultat, constaté par l’auteur, d’une si belle utopie : la société actuelle, anonyme, sensuelle et commerciale, engluée dans la matière, seul point commun entre les hommes déchristianisés… Plus rien ne « relie » les individus, hors de la démocratie qui « unit des hommes dont la transcendance est désormais en eux-mêmes. En dépassant l’hommerie, ceux-ci progressent vers un oméga de l’humanité qui confine à la divinité ».

Une construction aussi babélique s’écroulera sans doute plus tôt qu’on ne le pense. Il faudra bien qu’un jour les Français reviennent au réel. Merci à Maxence Hecquard de hâter l’arrivée de ce jour. »

Résumé du livre par Stéphane Blanchonnet :

« Il est des œuvres rares que l’on découvre avec ce merveilleux sentiment qu’elles expriment avec force et précision, de manière quasi exhaustive, une intuition, une idée encore vague, que l’on avait soi-même depuis longtemps. C’est ce sentiment que j’ai ressenti à la première lecture de La Politique naturelle de Maurras et, de manière un peu similaire, à la lecture des Fondements philosophiques de la démocratie moderne de Maxence Hecquard.

Le pressentiment maurrassien

Maurras dans toute son œuvre développe une critique puissante de la démocratie en récapitulant en quelque sorte la somme des arguments que la tradition politique classique a opposée, depuis l’Antiquité, à ce régime. Il sait mieux que tous ses devanciers en dépeindre les faiblesses : l’instabilité, l’imprévision, le clientélisme… Il réussit également à réfuter complètement les principes du contractualisme tels que Rousseau les a exposés dans Le Contrat social. Parallèlement, il présente l’apologie la plus convaincante qui soit de la monarchie. Le seul aspect du problème de la démocratie sur lequel il soit nécessaire de prolonger et de dépasser la critique maurrassienne est sans nul doute celui de la métamorphose de la démocratie moderne en une véritable religion séculière avec ses dogmes, sa morale, sa métaphysique. Non que Maurras n’ait pas vu ce phénomène, de nombreux textes, – spécialement ceux qui scrutent les rapports entre Romantisme et Révolution –, prouvent au contraire qu’il en avait le pressentiment, mais il manquait à Maurras la contemplation de la société post-moderne que nous avons sous les yeux pour lui prouver à quel point ce pressentiment était fondé.

Nature de la démocratie moderne

Pour nous, aujourd’hui, ce pressentiment s’est mué en évidence. Restait à rendre compte de ce phénomène. C’est à cette tâche que s’est consacré Maxence Hecquart dans les trois cents pages de sa remarquable étude. Convoquant tour à tour l’étymologie, l’histoire, la philosophie, il nous invite à une passionnante chasse à la définition dans la première partie de son travail (« observer ») qui aboutit à ce constat : « La définition usuelle est fausse. La démocratie n’est pas le pouvoir du peuple. Elle n’existe pas en ce sens. Sa nature est autre et bien plus que cela » (p. 269). Puis, il démontre méthodiquement dans la deuxième partie (« comprendre ») que « la démocratie moderne […] n’est intelligible qu’au travers d’une métaphysique du devenir qui lui donne sa cohérence » (p. 269). La critique maurrassienne mettait déjà en évidence l’incompatibilité de la démocratie moderne avec les communautés naturelles, la famille notamment. Maxence Hecquart va plus loin : « C’est l’édifice, la nature elle-même, que nie la démocratie : les essences, les natures ne sont pas ordonnées entre elles pour former la Nature. » (p. 93) Bien sûr, il ne s’agit pas de la nature au sens où l’entend la biologie moderne mais au sens où l’entendaient par exemple les Grecs. Cette Nature, ce Cosmos, suppose que les idées que nous avons des choses sont réelles, non au sens platonicien (elles n’existent pas en dehors de nous avec une réalité substantielle) mais au sens où l’entendaient un Aristote ou un saint Thomas d’Aquin (elles existent d’une certaine manière, non substantielle mais bien réelle, dans les choses et dans notre intelligence), et qu’elles sont ordonnées à une fin et non jetées là par le Hasard…

Dans les griffes du Léviathan

L’idée maîtresse de Maxence Hecquart est que notre modernité possède une métaphysique qui lui est propre, une métaphysique nominaliste et existentialiste qui ne reconnaît l’existence que des individus et refuse toute idée de nature (essence) et de finalité. Quant à la démocratie moderne, elle n’est plus dans ce contexte un régime politique, une manière d’organiser la société, mais l’expression collective (politique, morale, idéologique) de cette métaphysique. Malheur aux hérétiques qui viendraient à reconnaître ce lien et à le dénoncer ! L’Etat moderne veille en effet à ce que les dogmes de la nouvelle religion ne soient pas contestés.
Cet Etat moderne, le Léviathan dont parle Hobbes, possède d’ailleurs un pouvoir sans limite puisqu’il ne reconnaît plus, à la différence de l’Etat traditionnel, aucune loi naturelle ou divine au-dessus de la volonté de l’homme et donc du législateur. C’est sur cette révélation, sur cette apocalypse au sens premier du terme, que s’achève la réflexion de Maxence Hecquard, une réflexion dont nul ne pourra plus faire l’économie s’il veut comprendre quelque chose à la situation présente. »

Résumé du livre par Floris de Bonneville :

« À l’heure où chacun fourbit ses armes en vue des présidentielles, où les grands (et moins grands) partis hésitent sur celui (ou celle) qui incarnera leur projet, dans une bataille dont le champ a rarement été aussi embrouillé et l’issue aussi incertaine, quand les socialistes sont accusés de faire le jeu du grand capital et les libéraux d’asservir la France à l’Empire américain, il est urgent de prendre le temps de réfléchir. Je vous propose une lecture certes exigeante mais récréative en ce qu’elle jette une nouvelle lumière sur les événements.

Le livre de Maxence Hecquard sur Les Fondements philosophiques de la démocratie moderne permet d’y voir plus clair, car il donne de précieuses clés de lecture. La 3e édition, très enrichie, de cet ouvrage de référence analyse les concepts et les valeurs de notre démocratie à partir des textes des grands penseurs anciens et modernes. Dans une rare synthèse, l’auteur explique la cohérence remarquable de ce système en évolution permanente. Que la démocratie soit percluse de contradictions, qu’elle n’existe pas vraiment puisque tous conviennent que le peuple est incapable de gouverner ne constituent un problème qu’apparent. En effet, la démocratie est beaucoup plus qu’une question politique. Elle correspond à une vision du monde, à ce qu’on appelait autrefois une métaphysique. Hecquard montre qu’il s’agit de celle d’Épicure et de Lucrèce reprise par les Lumières et validée « scientifiquement » par Darwin. De là, cette « philosophie générale » est exclusive.

Elle élimine systématiquement tout ce qui reste du despotisme de l’Ancien Régime, tout ce qui se réfère à un soi-disant ordre de la nature. Au moyen d’une révolution sémantique méconnue, la démocratie substitue aux « communautés naturelles » d’Aristote (famille, nation) des créations purement juridiques destinées à évoluer rapidement.

L’auteur explique que la seule obligation morale véritable est la démocratie elle-même, condition ultime du progrès de l’espèce humaine. Il montre encore que le concept d’une Société des nations, c’est-à-dire le projet mondialiste et cosmopolite d’une démocratie planétaire, a été pensé dès le XIVe siècle par le légiste Pierre Dubois et repris régulièrement depuis, jusqu’à Kant sous la Révolution française, en passant par Sully et Castel de Saint-Pierre. Or, comme l’a souligné Rousseau, ce projet ne peut être réalisé que par la guerre puisque le despotisme ne peut être renversé que par la violence. Voilà qui explique les guerres occidentales au Moyen-Orient ou en Libye. La démocratie est donc congénitalement violente et totalitaire. Elle est, de même, congénitalement libérale puisque, l’esprit et la matière étant la même chose pour Épicure, le seul bien commun de nos sociétés est matériel. Mieux : l’égalité matérielle elle-même constitue la réalisation concrète de la démocratie. Voilà qui explique que les débats de nos sociétés sont désormais essentiellement économiques et que libéralisme et socialisme finissent par converger dans la réalisation de cet idéal.

À lire et à relire pour ceux qui pensent et ceux qui agissent. »

Trois vidéos où Maxence Hecquard explique ce qu’est la démocratie moderne :

b) Texte de Claude Polin, professeur émérite de philosophie politique à l’université de Paris IV-Sorbonne, sur la démocratie :

« Présentation :

On comprend bien que ceux qui, comme Maciej Giertych, ont vécu sous le joug soviétique ou dans les pays satellites, apprécient la démocratie représentative et puissent la souhaiter pour le monde entier. Or les régimes inspirés par la déclaration parisienne ou américaine des droits de l’homme ne se sont plus fondés sur la Révélation et sur la loi naturelle comme le faisait la chrétienté qu’ils ont remplacée. Une réflexion philosophique sur les formes politiques désignées aujourd’hui sous le nom de “démocratie” mais, on le verra, historiquement fort différentes de la démocratie pensée par les  Athéniens de jadis, peut aider à comprendre les ressorts qui font le succès des  gouvernements aujourd’hui dominants. Il s’agit ici en particulier d’approfondir le concept, au demeurant assez étrange, d’une « volonté générale ».

Entr’aperçues au travers des trous du rideau de fer, les sociétés occidentales, ont souvent passé, sinon pour des paradis terrestres, du moins comme des havres de liberté et de prospérité, auprès de nombreux citoyens des sociétés communistes où l’omnipotence d’un Etat confisqué par un parti unique semblait en avoir ôté la jouissance au plus grand nombre.

Les questions soulevées par une telle conception des choses sont trop nombreuses et délicates pour être traitées en quelques pages. Je me bornerai à quelques réflexions sur l’affirmation qui en est comme l’idée mère : les sociétés européennes modernes, dites libérales, seraient les sociétés où les libertés individuelles sont le mieux protégées de tout arbitraire. Pourquoi ? Parce que le peuple est censé y être souverain, parce que « l’État y serait devenu la propriété de tous », comme dit M. Giertych. Je voudrais suggérer, tout au contraire, d’une part que ce sont des sociétés essentiellement oligarchiques, où le pouvoir est monopolisé par un petit nombre à des fins de profit personnel, tout autant qu’il l’était par les apparatchiks des partis communistes. Mais d’autre part, qu’à la différence de ce qui se passait au-delà du rideau de fer, cet oligarchisme a les faveurs de la plus grande partie de la population.

On ne comprendrait pas grand-chose à ce qui s’est passé en Europe depuis le XVIe siècle si on ne le rapportait pas d’abord à son origine, c’est-à-dire à l’obsession qui n’a cessé d’y être dominante. Une conviction passablement soudaine (encore que rien de considérable n’arrive qui n’ait d’abord mûri en secret) est apparue d’abord dans de petits cercles intellectuels, puis a envahi de proche en proche toutes les couches de la société : la conviction que l’homme était né libre, mais avait néanmoins toujours été dans des fers, et qu’il était donc temps de les rompre pour qu’il naisse à nouveau – qu’il re-naisse – comme un être qui n’a d’autre nature que d’être libre. Un prurit saisit l’Europe, soudain acharnée à faire du passé table rase, et persuadée d’être à même d’entamer un nouvel ordre des siècles. Tout ce qui pense ou prétend à penser se prit pour Dieu et entreprit de recréer la nature et de renaturer l’homme.

À partir du XVIe siècle, au moins en Europe, l’intelligentsia à la page n’a donc plus qu’un mot en bouche : la liberté de l’homme. Ou plutôt sa libération : il faut libérer l’homme de l’homme, et le grand nombre de l’arbitraire du petit. Certains hommes ont fait accroire qu’ils avaient des titres à commander à leurs semblables, ou ont su leur faire assez peur pour en être obéis ; il faut dénoncer l’imposture, et à la tyrannie de quelques-uns sur tous il faut substituer le gouvernement de tous par tous, à la souveraineté prétendue légitime des rois, la souveraineté, seule légitime, de la Nation, à la soumission à la volonté d’un seul, la libre obéissance à la seule volonté de tous, à cette volonté que Rousseau nommait « générale ».

Cependant, par-delà les slogans, dire que le pouvoir politique est désormais dévolu au peuple, c’est dire trois choses, qui devraient aller sans dire, mais que, me semble-t-il, on ne dit pas assez.

La première est que la volonté du peuple n’est volonté du peuple, la volonté générale n’est générale qu’autant qu’elle est la volonté de chaque citoyen : qu’un seul n’y reconnaisse pas sa volonté, et l’on n’a plus affaire au gouvernement du peuple par le peuple, mais à l’asservissement d’un citoyen par tous les autres, et à une volonté qui n’est plus légitime parce qu’elle n’est plus la volonté de tous. Autrement dit, l’essence de la volonté générale est d’être la volonté particulière de chaque citoyen particulier, jusqu’au dernier.

Cette évidence élémentaire est le plus souvent ignorée. La volonté du peuple (générale) est trop souvent invoquée comme une autorité à laquelle il est mystérieusement possible aux citoyens de se soumettre comme à un souverain incontestable, mais qui les laisse tous libres, comme à un pouvoir à qui tout est permis puisqu’il est souverain, sans que pour autant on puisse l’accuser de despotisme. Or qui est ce peuple, cette divinité auguste entre toutes, omniprésente mais insaisissable, que tous idolâtrent comme s’ils en avaient une connaissance intime mais que personne n’a jamais vraiment vu, car le peuple c’est tout le monde et personne 1 ? Dieu était censé être un mythe au service de l’oppression exercée par des rois, ses grands prêtres : le peuple est devenu Dieu en même temps que Roi, mais la puissance qu’on contestait à Dieu et au roi est devenue entre ses mains légitime et providentielle. Pourquoi ? La réponse, je crois, ne fait guère de doute, et la logique l’impose : s’il existe un être auquel chaque citoyen doive obéissance, mais si en même temps un citoyen doit être un homme qui entend n’obéir qu’à lui-même, alors c’est que cet être n’est pour chaque citoyen qu’un autre lui-même, et que c’est lui-même que chaque citoyen voit dans le peuple.

Une fois de plus, avec le cynisme naïf qui est sa marque, Jean-Jacques Rousseau trahit la raison profonde pour laquelle la préférence pour soi conduit à professer le culte de la volonté de tous : « Pourquoi – écrit-il dans son Contrat Social – tous veulent-ils constamment le bonheur de chacun d’eux, si ce n’est parce qu’il n’y a personne qui ne s’approprie ce mot, chacun, et qui ne songe à lui-même en votant pour tous ?». On ne saurait dire plus clairement qu’en s’agenouillant devant la volonté générale (la volonté du peuple), c’est surtout devant sa propre image que s’agenouille celui qui professe de n’avoir d’autre maître que lui-même.

Le second caractère constitutif de la volonté dite générale est la souveraineté. Depuis que la liberté de tous et de chacun est devenue la finalité suprême de tout système politique légitime, l’opinion courante est : la liberté de tous suppose que tous ensemble disposent d’un pouvoir tel qu’il ne puisse en exister aucun qui lui soit supérieur, tant en dignité qu’en puissance. Le peuple est souverain quand il n’existe ni homme dont le pouvoir doive être sacré pour lui, ni norme, en particulier morale ou spirituelle, qu’il puisse considérer comme obligatoire pour lui avant qu’il n’ait décidé de la tenir pour telle : (« s’il lui plaît même de se faire du mal à lui-même, qui a le droit de l’en empêcher ?», disait Rousseau). Le peuple est souverain quand son pouvoir est absolu, et même quasiment arbitraire, puisque le souverain est seul juge des normes qui doivent commander ses décisions.2 À n’en pas douter, de Jean Bodin qui inventa la notion (en l’appliquant au pouvoir d’un prince) aux révolutionnaires français qui la mirent en application (en conférant la souveraineté au seul peuple), l’idée est toujours la même : il s’agit de conférer à des hommes un pouvoir qui était auparavant jugé ne pouvoir appartenir qu’à Dieu.

Cependant, il faut le répéter et y insister, bien qu’il s’agisse de ce qui devrait être une évidence : des citoyens qui ne veulent rien aliéner de leur liberté ne peuvent concevoir d’obéir à un tel pouvoir qu’autant qu’ils peuvent en même temps le considérer comme leur.

Et non pas seulement le leur en tant qu’ils forment ensemble un corps unique : si toute la nature de l’individu n’est que d’être libre, il n’a pas plus de raison d’obéir à un agrégat de ses semblables qu’il n’en avait d’obéir à un seul, ou à quelques-uns. Le bon sens veut donc que le citoyen ordinaire applaudisse à la souveraineté de la volonté générale pour la même raison pour laquelle il consentait déjà que la volonté générale l’emporte sur la sienne : dans l’un et l’autre cas il se soumet parce qu’en réalité il ne se soumet pas, mais confond la volonté de tous avec sa volonté propre (ce qui fait que plus la volonté générale est éloignée de sa volonté particulière, plus le même citoyen est, comme on peut le constater sans cesse, naturellement porté à considérer ses décrets comme illégitimes et tyranniques, et donc à y être rebelle) ; et s’il souhaite que la volonté générale soit absolue, c’est qu’il veut que la sienne le soit. Si l’idée démocratique, entendue comme l’idée que la volonté du peuple est le seul souverain légitime, est si populaire, si ardemment défendue par le plus grand nombre, ce n’est pas que ce dernier soit subitement tombé sous l’emprise d’un nouveau dieu, c’est parce qu’instinctivement, spontanément, chacun sait que ce nouveau dieu, c’est lui-même. Le culte de la volonté générale, c’est l’accomplissement de la promesse implicite de la modernité : eritis sicut dii.

Mais dans ces conditions, bien comprendre ce qu’implique la notion de volonté du peuple suppose en troisième lieu, me semble-t-il, de comprendre, à nouveau, au-delà de l’évidence apparente, ce que cela signifie pour un homme que de se prendre pour Dieu. Certes, nul n’a jamais nié qu’il fût naturel à un homme d’aimer la liberté. Mais à l’instant où celle-ci est conçue sous les espèces d’une souveraineté, c’est à dire comme capacité de disposer de soi selon son seul bon plaisir, il reste à savoir ce que ce bon plaisir peut être. Or, comme faire n’importe quoi est le propre du fou, et si tant est que le citoyen moyen n’en soit pas un, on voit mal comment agir ou penser selon son bon plaisir ne serait pas tout simplement agir ou penser comme cela plaît – c’est à dire prendre pour norme unique ce qui est plaisant, agréable ou utile.

On voit mal, en un mot, comment le citoyen attaché à être souverain ne serait pas un homme asservi à ce qu’il a de plus subjectif, chez qui ce que les anciens appelaient désirs ou passions commandent à sa raison même. La souveraineté du peuple est en réalité la souveraineté de la subjectivité individuelle ; Platon aurait dit que vouloir être souverain, c’est vouloir que son bas ventre le soit.

Ce qui précède était nécessaire pour saisir en même temps que la nature de la volonté générale, l’énigme qu’elle enveloppe.3

Si le peuple n’est jamais que la somme des citoyens qui le composent, si le peuple n’est souverain qu’autant que chaque citoyen l’est, ou veut l’être à travers lui, proclamer le peuple souverain, c’est proclamer chaque citoyen justifié à vouloir ce qu’il veut, c’est-à-dire infaillible : ce n’est pas qu’il soit miraculeusement doué d’omniscience, c’est simplement que du fait qu’il veut, comme sa volonté est à elle-même sa propre norme, elle est nécessairement droite. Il n’est rien qu’on puisse lui opposer, même pas la raison, parce qu’il lui revient de décider si la raison même est une norme qu’il entend suivre, ou plus simplement encore ce qu’il faut entendre par raison.

Si tant est que toute volonté souveraine soit par essence entièrement indéterminée parce que radicalement libre, comment donc croire que deux indéterminations peuvent jamais se conjuguer sinon de manière purement conjoncturelle ? Si tant est que chaque homme soit désormais soucieux seulement que sa liberté ne connaisse d’autre limite qu’elle-même, comment peut-il se faire que toutes les volontés particulières convergent et se fondent en une seule et même volonté, qui soit celle de tous sans exception ? 4

Si tant est que chacun soit mû par un bon plaisir dont l’essence est d’être irréductiblement subjectif, donc particulier, peut-on imaginer qu’existe un bon plaisir collectif ? Évidemment non.

De cette évidence élémentaire, mais fondamentale, suit logiquement que l’expression « la volonté du peuple » est une expression creuse, un pur flatus vocis, une simple formule rituelle par laquelle on cherche à conjurer un fantôme. 5

La volonté générale est une chose qui a autant de chances d’exister qu’un cercle carré. Ce n’est même pas un être de raison, c’est un oxymore.

Dès lors il reste à comprendre pourquoi, si c’est une fiction, on ne cesse depuis deux siècles de faire comme si c’était une norme à laquelle nul ne pourrait songer à déroger – un dogme sacré ; et aussi par conséquent, comment elle peut si couramment passer pour une réalité. On va voir que les deux questions n’en font qu’une.

L’observation de la Révolution française apporte une première réponse. Les amis du progrès et de la raison humaine voulurent instaurer l’empire de la volonté générale (la souveraineté du peuple), et bientôt ce fut la terreur, d’abord officieuse, puis officielle. Est-ce un hasard ? Je ne crois pas. Si une volonté générale avait spontanément émané du peuple, il n’eût évidemment point été besoin d’user de violence pour la faire accepter de tous. Dès lors, de manière tout aussi évidente, cette volonté, dite générale, ne pouvait être que la volonté d’un certain nombre seulement, et c’est pourquoi il fallait la faire naître aux forceps, à coups de sabre et de poignard, de gabarres coulées ou de guillotine, et j’en passe. Le moyen le plus simple de faire que tous les citoyens aient la même volonté est de supprimer tous ceux qui en ont une autre: c’est là seulement, disait Rousseau, les forcer à être libres. Qu’est-ce donc alors que la volonté générale sinon le prétexte invoqué par une volonté particulière pour l’emporter sur les autres ? Y a-t-il meilleur moyen de commander au peuple que de prétendre être la voix du peuple ?

Reste que le peuple ne suivit pas, et que Robespierre ne réussit pas longtemps à se faire prendre pour le peuple. C’est que beaucoup savaient encore qu’une société est l’unité d’une diversité, et non une somme de particules indiscernables. Mais le culte du progrès érode les vieilles certitudes, et l’envie d’assouvir à sa guise ses désirs, qui était au principe de ce culte, l’emporta lentement mais sûrement dans les âmes.

Il arriva ainsi que, dans des sociétés où le principe de la souveraineté populaire n’apparaissait plus contestable, les citoyens finirent par concevoir chacun avoir un droit à exercer sa souveraineté propre, sans tenir compte de celle des autres : les hommes étaient devenus des loups pour les hommes. Certains jugèrent alors qu’il fallait abandonner toute idée de volonté générale, et qu’il n’y avait plus qu’à institutionnaliser la guerre de tous contre tous. Ainsi naquirent les sociétés dites libérales où le loup le plus fort et le plus rusé est roi, mais où tous ne sont pas roi. Aussi d’autres imaginèrent que seul le contrôle de tous par tous, ou plutôt la tyrannie de tous sur tous, pouvait assurer la souveraineté de tous et assouvir en chacun la soif de jouissance, qui en était le principe. Ainsi naquirent les sociétés communistes où régna bien, au contraire, une volonté générale, parce qu’il y régna la volonté générale d’éradiquer les volontés particulières. Cependant il y avait quelque contradiction à désirer jouir de tout à sa guise, et à proclamer en même temps que nul n’avait droit à rien sans l’aval de tous les autres : l’hédonisme et l’égalité font à la longue mauvais ménage. Et le mur de Berlin tomba.

Il n’en faudrait point cependant conclure qu’avec sa chute, disparut le désir de n’obéir qu’à la volonté générale, c’est à dire la passion de la démocratie. De ce désir, toujours vivace, naquit la curieuse schizophrénie qui est au principe des démocraties d’un troisième type, et qui en caractérise le citoyen moyen. Ces démocraties sont aujourd’hui les nôtres.

Qui peut nier la nécessité d’un gouvernement ? Une société composée de volontés qui se veulent toutes également souveraines est nécessairement une société dont les citoyens sont essentiellement isolés les uns des autres : s’ils entretiennent des relations, c’est à la manière des nations qui demeurent étrangères les unes aux autres lors même qu’elles passent des accords.

Puisqu’ils sont condamnés à vivre ensemble, il leur faut bien régler leurs rapports. Il faut donc bien que certains commandent à d’autres.

Cela peut-il vouloir dire que la volonté de certains est fondée à l’emporter sur celle des autres ? Ce serait pour chacun renoncer au rêve de la souveraineté d’une volonté qui, parce qu’elle est celle de tous ne peut pas, aux yeux de chacun, ne pas être celle de chacun ; ce serait renoncer à son droit à n’obéir qu’à son bon plaisir. Or, pourquoi l’idée monarchique par exemple est-elle si étrangère à la mentalité de nos contemporains, sinon parce qu’il semble qu’obéir à la volonté d’un roi c’est se soumettre à un insupportable arbitraire, tandis qu’en déclarant n’obéir qu’au peuple, chacun peut avoir le sentiment de n’obéir à personne sinon à son bon plaisir ?

Dans le même temps, qui peut ignorer que le peuple, ce n’est pas seulement soi-même, mais aussi d’autres que soi, tout aussi prêts à croire que le peuple c’est d’abord eux-mêmes ? Qui peut ignorer que la volonté générale est un rêve impossible ?

Tout se passe donc aujourd’hui, dans les démocraties occidentales, comme si tous savaient que la volonté du peuple est la volonté tout au plus d’une partie du peuple, non celle du peuple, mais comme si tous voulaient en même temps qu’il y ait une volonté qui puisse être dite générale, sous peine de perdre soi-même tout titre à la souveraineté. En somme tout se passe donc comme s’il fallait faire que la volonté générale qui n’existe jamais existe quand même.

Mais tout se passe comme si chacun avait instinctivement senti que s’il souhaitait que sa volonté particulière fût effectivement souveraine, il lui fallait tout simplement prétendre qu’elle était la meilleure expression de la volonté générale, ce que la plupart sont spontanément portés à faire sans cynisme particulier. Prenez le citoyen ordinaire, toujours prêt à voir midi à sa porte, et serinez-lui qu’il est souverain : puisqu’il l’est, pourquoi sa volonté particulière ne lui paraîtrait-elle pas avoir autant de titres qu’une autre à incarner la volonté générale (chacun en votant pour tous ne songe d’abord qu’à lui-même, comme disait Rousseau) ? Et le citoyen moyen de glisser ainsi insensiblement de la naïveté à la malhonnêteté : comme aucune volonté particulière ne peut prétendre comme telle aux suffrages de ses concurrentes, tandis qu’un intérêt particulier peut se déployer sans vergogne sous le masque de l’amour du bien commun, tous se mettent à prétendre parler pour tous, alors que chacun ne parle que pour lui-même, et bientôt la ruse la plus commune de la volonté particulière devient de faire croire qu’elle ne l’est pas.

Et c’est ainsi qu’à la terreur ouverte de tous sur tous s’est spontanément substituée, dans la plupart des démocraties, l’oppression plus discrète, mais uniformément applaudie, d’une partie du peuple par une autre, c’est à dire le régime des partis.

Un parti politique, en bonne logique, constitue par définition la preuve qu’il n’incarne pas la volonté générale : il en est une représentation partisane. Cependant quel parti oserait se présenter comme n’incarnant pas la volonté que tous les citoyens ont ou devraient avoir ? Chaque parti va donc faire comme s’il devait faire l’unanimité, et comme l’unanimité est toujours impossible, on va s’accorder à considérer qu’un parti majoritaire, ou une coalition de partis, peut fort bien en tenir lieu. Cependant dans le pouvoir d’un ou de plusieurs partis coalisés, même majoritaires, il y a, quoi qu’on en ait, imposture, usurpation et tyrannie. Imposture, parce que toute l’ambition d’un parti politique est de faire passer ce qui est une vue partisane pour une vue désintéressée. Usurpation, puisque toute volonté partisane exige d’être considérée comme l’expression de la volonté de tous. Et tyrannie, parce que le mensonge ne peut triompher qu’à condition de réduire au silence tout ce qui n’est pas lui : tout parti politique est en puissance un parti totalitaire. Et à la tyrannie s’ajoute encore la corruption, dont le système des partis est le foyer naturel. Un parti politique est par définition la vivante confusion de l’intérêt privé et de l’intérêt général : comment les hommes politiques ne songeraient-ils pas d’abord à leur fortune privée, quitte à en distribuer des miettes à leurs partisans, puisqu’ils ne sont là que pour défendre des intérêts particuliers artificieusement proclamés généraux ? Rousseau avait fort raison de vouloir bannir de la cité brigues et factions – car c’est ainsi qu’il dénommait par anticipation les partis politiques.

De là ressort encore que la guerre que se livrent les partis est pour une large part tout apparente. Sa véritable raison d’être est que le nombre de places dans l’appareil gouvernemental est plus limité que le nombre de candidats à les occuper. Cependant tous les politiciens comprennent instinctivement avoir chacun le même intérêt : faire croire au peuple qu’il est souverain parce qu’il est censé avoir le choix de ses maîtres (il est dans la nature des partis politiques de se battre pour la montre, et de s’entendre en sous-main, quitte à exclure tous ceux, s’il y en a, qui se montreraient véritablement critiques de leur entente tacite). L’exemple des démocraties occidentales est très explicite, qui courent au bipartisme, c’est-à-dire en réalité au monopartisme inavoué, comme les fleuves à la mer 6.

Toute société dont les membres sont réputés souverains est condamnée à n’être pas gouvernée du tout, ou à être gouvernée de manière arbitraire par un seul ou par quelques-uns 7.

Cependant le peuple ne paraît pas se résigner seulement à son asservissement à un parti ou à un autre comme à quelque mal inévitable, mais y applaudir comme à un régime où la volonté de chacun est mieux respectée que dans tout autre. Il est remarquable que ce régime d’usurpation systématique n’ait pratiquement que des complices. (« La démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres. »)

On ne saurait, je le répète, s’en étonner. De manière générale, le citoyen moyen est attaché plus qu’à toute autre chose à son statut de souverain, même virtuel, que symbolise entre autres son statut d’électeur: l’art politique en démocratie est d’abord l’art de flatter l’ego du citoyen moyen, de sorte que quand même celui-ci se fait esclave, il croit ne l’être pas parce qu’il a choisi de l’être. Ôtez la naïve vanité du citoyen moyen, et le système des partis s’écroule en même temps que le culte de la volonté générale. L’attrait du mirage l’emporte sur l’évidence de la réalité : j’aime la volonté générale parce qu’après tout c’est censément la mienne.

Cependant elle ne l’est pas toujours. Un parti ne fait jamais l’unanimité, et une partie du peuple demeure toujours mécontente de ceux qu’elle n’a pas choisis : on entend alors clamer que le peuple est trompé, que le peuple est trahi. Cependant, si l’on entend dénoncer la tyrannie, on ne verra jamais qu’on s’attaque à son principe. Tout se passe comme si tous les citoyens, plus ou moins conscients de ne jamais pouvoir s’unir en une authentique volonté générale, entendaient cependant en cultiver le mythe pour l’excellente raison qu’ils ne voient pas d’autre moyen, ou de moyen plus efficace, de faire prévaloir leur volonté particulière sinon aujourd’hui du moins demain. À la différence des démocraties communistes, où la majorité préférait l’égalité dans la pénurie à l’inégalité dans une plus grande aisance, dans les démocraties qui ne sont pas communistes, les citoyens cherchent surtout à vivre les uns au dépens des autres, et le système des partis garantit toujours à une fraction du peuple de se faire entretenir par l’autre au nom de l’intérêt de tous. Ainsi la dénonciation de l’usurpation est-elle parfaitement compatible avec son maintien, c’est-à-dire avec la sacralisation d’une volonté générale.

De ces considérations je voudrais tirer deux conclusions.

La première est que le régime démocratique bien compris est un régime où règne une violence tyrannique, mais une violence discrète.

D’une part, parce qu’elle est volontairement ignorée par un citoyen qui s’en rend complice en comptant que cette violence jouera un jour ou l’autre à son profit ; de l’autre parce que chaque parti a conscience qu’il n’est pas seul à solliciter l’électeur et qu’il ne faut pas faire peur à trop de gens à la fois (c’est au centre qu’il y a le plus de voix). Mais violence néanmoins, car tout parti est partisan, donc dominateur, et toute coalition de partis au moins autant 8.

En ce sens, on pourrait donc dire que la moins pire des démocraties est celle où la violence ne craint pas de s’afficher, où l’intérêt particulier ne cherche pas à s’affubler grossièrement du masque de l’intérêt général, mais se donne pour ce qu’il est, et finit le plus souvent par reconnaître qu’il est finalement plus rentable de s’asseoir à une table de négociations, et de marchander des avantages plutôt que de tenter de passer en force. La démocratie la plus honnête est une démocratie cynique, qui jette aux orties le froc de la volonté générale.

La seconde conclusion prendra la forme d’une question. Si l’essence de la volonté générale est d’abord d’être l’expression de certaines volontés particulières qui veulent dominer les autres, quelle différence réelle subsiste-t-il entre des démocraties où règne la pluralité des partis, et ces démocraties qu’on appelait populaires ?

Je crois qu’on doit répondre ceci.

Nul doute qu’à l’origine les régimes communistes se soient présentés comme des régimes où la volonté du peuple, était réellement souveraine (à la différence, prétendaient-ils, des régimes où, sous couvert d’une volonté générale fallacieuse, le pouvoir des masses pauvres était confisqué par une oligarchie de riches).

Cependant, comme dans tous les régimes où on invoque la volonté du peuple, une faction n’a pas tardé à s’emparer du pouvoir au nom du peuple, et, à la différence de ce qui s’est passé pour les Jacobins au XVIIIe siècle, a su le conserver. Mais en se constituant trop manifestement en caste, en corps fermé sur lui-même, trop visiblement coupé de l’ensemble de la population, c’est à dire en exténuant peu à peu le sentiment que le parti était l’incarnation du peuple. Le mythe de la volonté du peuple, lui, n’était pourtant pas mort : il apparaissait seulement avoir été trahi, car il y avait un au-delà du rideau de fer, que l’on ne connaissait guère, mais dont on pouvait croire, qu’il était, lui, plus fidèle au dogme de la souveraineté de la volonté populaire. Le dissident était un homme qui s’opposait à une démocratie qu’il croyait fallacieuse parce qu’il croyait qu’il y en avait une autre.

La seule vraie différence des démocraties populaires avec, non pas les démocraties purement libérales qui au fond ne croient pas à la volonté générale, mais avec ces régimes hypocrites qu’on appelle démocraties sociales, consiste donc en ce que dans les premières on pouvait croire qu’il y avait des démocraties où la volonté générale était effectivement respectée, tandis que dans les secondes on ne sacrifie plus au culte de la volonté générale que par un cynisme plus ou moins conscient, c’est à dire parce qu’invoquer la volonté du peuple est pour l’intérêt particulier le moyen le plus habile de triompher d’un autre intérêt particulier. Mais c’est ce cynisme qui assure la pérennité du système : il ne disparaîtra que si prévaut à nouveau dans les âmes le sentiment qu’il existe une nature des choses et une nature humaine, c’est à dire que si on cesse d’encenser en l’homme son hybris.

Notes :

1 Durkheim, qui avait senti la difficulté, avait voulu que le prestige de la collectivité aux yeux de l’individu tienne à ce que le tout, c’est-à-dire la collectivité, soit plus que la somme de ses propres parties et constitue un être sui generis, transcendant tous les citoyens bien que n’étant fait que de leur addition. Mais comment une addition de zéros peut-elle donner une somme supérieure à zéro ? Par cet effort désespéré pour donner vie à un Ersatz de Dieu, Durkheim montre surtout qu’il faut choisir, non pas entre Dieu et la société, comme il le disait, mais entre l’amour de Dieu et l’amour de l’individu pour lui-même.
2 On notera au passage que la notion de démocratie chrétienne est un oxymore car elle consiste à soumettre Dieu même à la volonté du peuple, ou à mettre Dieu aux voix.
3 À vrai dire il y en a deux, car si tous les citoyens sont souverains, d’où vient qu’ils soient cependant dans la nécessité d’obéir à des règles, fussent-elles des règles qu’ils se sont données à eux-mêmes ? Je la laisse de côté, car elle ne concerne pas directement la question de la volonté générale. Au demeurant elle n’est pas si difficile à résoudre. Dire que l’homme a pour seule nature d’être libre, ce n’est pas dire seulement qu’il n’est de loi légitime a ses yeux que celle qu’il se donne à lui-même, ce qui est l’adage habituel, c’est dire tout simplement qu’aucune règle ne lui est proprement naturelle, et que s’il s’en donne, c’est parce qu’il y est contraint. On devine aisément d’où vient la contrainte : aucun homme ne peut vivre aux côtés de ses semblables sans que sa liberté soit contrainte de s’arrêter où commence la liberté d’un autre : qu’il accepte la contrainte et les règles qui en procèdent ne signifie nullement qu’il aime les règles qu’il s’engage à suivre. Contrairement à la croyance naïve courante, ce n’est donc pas tout que les citoyens se donnent des lois eux-mêmes, encore faut-il qu’ils aient chacun envie de les respecter ; et comme leur nature n’est pas de les vouloir, puisqu’ils veulent seulement être libres, le bon sens impose de penser que toute société contractuelle constitue un curieux mélange d’anarchisme et de despotisme, et même de despotisme policier. Une société contractuelle est anarchique, parce que nul n’y consent aux lois sinon parce qu’il comprend qu’il est dans son intérêt qu’il y en ait, sans pour autant qu’il soit incliné à les suivre dès qu’il peut échapper au regard d’autrui ; mais despotique aussi parce que, la peur du gendarme constituant dans ces conditions le ressort principal du respect des lois, tous sont par là même portés à juger qu’il n’y a jamais assez ni de lois, ni de gendarmes pour contenir la liberté de nuire d’autrui ; et même policière enfin, parce que rares sont encore ceux qui osent faire le mal en pleine lumière, de sorte que tous souhaitent que rien n’échappe à l’oeil des gendarmes, encore que chacun espère bien leur échapper quant à lui. Il y a certes une différence de degré, mais pas de nature de la démocratie non-communiste à la démocratie populaire.
4 Le monde classique, aujourd’hui un monde perdu, n’avait nullement ignoré la difficulté : il l’avait résolue de la seule manière, je crois, dont elle peut vraiment être résolue. Il y a en chaque homme, se disait-on, quelque chose d’irréductiblement singulier, mais cela non pas seulement parce que chaque homme éprouve des désirs et des passions que leur irrationalité même rend essentiellement subjectives. Car on concevait l’univers comme un tout fait d’une infinité de parties dont aucune n’est absolument identique à une autre, mais pourtant s’harmonise avec toutes les autres ; la perfection de l’univers consistant précisément dans l’unité d’une infinie diversité. Ainsi chaque homme, loin d’être comme un atome radicalement autonome et constituant un monde à soi seul, était toujours partie d’un ensemble, à la manière d’un organe remplissant une fonction au sein d’un organisme, ou d’une cellule contribuant à la bonne marche de l’organe. Alors, ce pouvait être une seule et même chose pour un homme de jouer un rôle qu’il était dans sa nature de jouer et donc d’être libre (qu’est-ce qu’être libre sinon faire ce qu’on est fait pour faire ?) et néanmoins d’obéir à la loi commune : participer à l’ordre de l’univers, avec ce privilège singulier de pouvoir le faire consciemment.
Cependant cette philosophie supposait une foi – un pari. Elle supposait de croire que l’univers n’était pas un simple chaos, mais un  ordre et aussi que chaque homme avait pour nature d’y prendre place, et non de prendre son bon plaisir pour loi. Ce qui, le désordre régnant souvent dans les choses humaines, conduisait donc à croire encore qu’il y avait deux hommes en chaque homme, l’un sauvage et ami de la démesure, sans autre loi que celle de ses passions, se croyant seul maître à bord et libre de voguer à sa guise, l’autre capable de penser, c’est à dire attaché à découvrir sa place dans un monde où chaque chose devait avoir une place. Est-il besoin d’ajouter que l’homme ne semblait pouvoir être pleinement homme que si la pensée l’emportait en lui sur la passion ?
Or le dogme de la souveraineté du peuple, dont la mentalité moderne procède, relève d’une conception des choses exactement inverse. Il est fini, le temps où l’on croyait que l’homme avait pour vocation de trouver sa place dans un monde qui lui en aurait réservé une. L’homme moderne se veut d’abord souverain, c’est-à-dire libre d’une liberté qui n’a d’autre limite qu’elle-même. C’est donc un être pour qui la notion de nature, que ce soit la sienne ou celle des choses, se réduit à celle d’un donné, essentiellement neutre, qu’il peut modeler à sa guise (la nature extérieure lui paraît faite pour qu’il s’en serve – en l’économisant au besoin – et il ne conçoit pas d’avoir lui-même d’autre nature que d’être libre). L’homme moderne n’est pas d’abord soucieux de réfléchir pour savoir ce qu’il doit vouloir, il commence par vouloir et ensuite réfléchit au meilleur moyen de faire ce qu’il veut ; il ne croit plus qu’il faille bien juger pour bien faire, mais qu’il suffit de vouloir pour vouloir tout ce que l’on doit vouloir.
5 On dira peut-être que les hommes obéissent le plus souvent à leur intérêt particulier, et qu’il suffit donc qu’ils aient les mêmes pour agir de concert : « S’il n’y avait pas quelque point dans lequel tous les intérêts s’accordent, nulle société ne saurait exister », affirme Rousseau, mais pour se démentir lui-même presque aussitôt : « s’il n’est pas impossible qu’une volonté particulière s’accorde sur quelque point avec la volonté des autres citoyens, il est impossible au moins que cet accord soit durable et constant ». Et il a raison : comment en effet en irait-il autrement dès l’instant que l’individu n’est plus qu’une volonté dont toute la nature n’est que de vouloir, c’est à dire de pouvoir vouloir n’importe quoi et à chaque instant autre chose ?
6 On objectera peut-être qu’il y a un remède : la représentation proportionnelle des citoyens. Ce mode de scrutin a certes ses mérites, mais il n’empêche la formation ni d’une classe politique, qui monopolise le pouvoir même si elle se déchire intérieurement, ni de coalitions de partis qui l’exercent de manière tout aussi arbitraire.
7 On dira que les lois, qu’une constitution, peuvent empêcher l’usage arbitraire du pouvoir détenu par quelques-uns : cela est faux car les lois et les constitutions sont l’oeuvre de ceux qui sont au pouvoir, ou si elles ne le sont pas, peuvent être modifiées à loisir par ceux qui sont momentanément censés incarner la souveraine toute-puissante du peuple. Invoquer une constitution, c’est invoquer la raison du plus fort, c’est-à-dire de celui qui a su, par quelque moyen que ce soit, loi électorale ou propagande, le mieux faire passer sa volonté particulière pour la volonté de tous.
8 On objectera peut-être aussi que la représentation proportionnelle des citoyens évite toute tyrannie de la majorité. Quels que soient les mérites de ce mode de scrutin, empêche-t-il la formation d’une classe politique qui monopolise le pouvoir, même si elle est traversée de rivalités internes, ou de coalitions de partis qui gouvernent de manière tout aussi arbitraire ? Tout au plus peut-on soutenir que le jeu de chaises musicales y est plus rapide. »

*****

En somme, la démocratie c’est l’Homme qui doit être sa propre loi, son propre souverain, dans une vision du monde où tout ce qui n’émane pas de sa volonté doit être éradiqué. La souveraineté du peuple signifie la souveraineté de l’Homme.

C’est une vision anthropocentrique qui rejette « tout ordre religieux et social que l’homme n’a pas établi et dans lequel il n’est pas roi et Dieu tout ensemble » (Mgr Jean-Joseph Gaume, La Révolution, recherches historiques).

Nous sommes ici au cœur de la pensée de gauche.

Cela implique logiquement la disparition des communautés naturelles :

« Le régime démocratique moderne, né de la Révolution française et de la mutation opérée par l’intelligence sur elle-même, présuppose de toute évidence la ruine, l’éviction ou, à tout le moins, la stérilisation politique de toutes les sociétés naturelles ou semi-naturelles où l’homme se trouve inscrit par le destin de la naissance ou de la vocation : famille, communauté professionnelle, communautés locales et régionale, patrie petite ou grande, etc. » (Marcel De Corte)

« Il s’agit bien de nier l’ordre et la nature des choses. On comprend dès lors la vindicte démocratique contre tout ordre naturel, sa rage à détruire toute trace de la famille et de la nation, son ardeur à gommer les identités et la mémoire des peuples. » (Maxence Hecquard)

La démocratie moderne est donc une notion typiquement et exclusivement de gauche qui nous amène à faire le constat suivant : la démocratie est incompatible avec la philosophie de droite.

Voici un texte de Jean-Jacques Stormay (de 2006) expliquant pourquoi :

« Commençons notre réflexion par le rappel de quelques vérités classiques relatives à l’incompatibilité radicale entre pensée de droite et pensée démocratique.

Qu’est-ce que la « droite » ?

Est « de droite » toute doctrine politique qui sait qu’il existe un ordre naturel des choses, dont l’homme n’est pas créateur et auquel la liberté humaine doit se conformer, sous peine de produire les pires catastrophes. Dans cette perspective, le bonheur de l’homme, sa fin ultime (possession de son vrai bien), consiste non à faire ce qu’il veut, mais à s’intégrer en cet ordre, ainsi à conformer son action aux impératifs de la nature humaine.
Allons cependant plus loin. Qu’est-ce que l’ordre ? C’est la disposition des choses en vue d’une fin. Or, cette fin, il a bien fallu quelqu’un pour la penser. Exemple : un moteur est un ensemble de pièces ordonnées non par hasard, mais parce qu’un concepteur a voulu créer un mouvement. De la même façon, l’ordre qui régit l’univers est l’effet d’une intention créatrice. Ce qui revient à dire qu’il existe un Ordonnateur rémunérateur et vengeur, personnel et spirituel qui peut Se révéler et qui, de fait, s’est révélé, dont l’homme est l’image. Par conséquent, s’il veut être logique avec lui-même, l’homme de droite doit croire en l’existence de Dieu, de l’immortalité de l’âme, d’un bonheur qui n’est pas de ce monde.
Franchissons une nouvelle étape : un individu n’est parfait que lorsqu’il possède son bien ultime. Une telle possession se nomme : bonheur. Par conséquent, puisque le bonheur n’est pas de ce monde, l’homme terrestre n’est jamais parfait. Il tend vers la perfection. L’homme de droite croit donc en l’imperfection congénitale de l’homme et rejette ainsi le mythe rousseauiste du « bon sauvage ».

Qu’est-ce que la « gauche » ?

Est « de gauche » toute doctrine politique qui conteste l’existence d’un ordre naturel des choses, d’une nature humaine intangible, d’un Dieu créateur. Cette doctrine attribue à la liberté, supposée par elle-même congénitalement parfaite, la tâche de définir l’homme, voire de l’inventer, de créer l’ordre, dans le but d’atteindre un bonheur exclusivement terrestre. Voilà pourquoi l’homme de gauche n’hésite pas à faire « table rase » du passé, décrétant que les races n’existent pas, que l’homme et la femme jouissent des mêmes aptitudes, que l’union des corps et l’avortement doivent être libres etc.

Une notion différente de l’autorité

Par voie de conséquence, l’autorité est vue de façon radicalement différente selon le camp auquel on appartient. Pour l’homme de droite, elle procède de Dieu et doit se conformer à l’ordre voulu par Dieu ; pour l’homme de gauche, elle procède de l’homme et doit se conformer à ce que la masse attend.
Il s’ensuit que pour l’homme de droite, la liberté n’est pas infinie ; elle doit rester dans les bornes de la droite raison. Pour l’homme de gauche, en revanche, la liberté détermine la valeur et mesure la rectitude de la raison.

Ces rappels effectués, venons-en à la démocratie.

On croit trop souvent encore, même dans les milieux de vraie droite, que la démocratie est un régime certes faible mais indifférent de soi aux solutions qui peuvent sortir de son chapeau vide. Certains, et non des moindres, en sont encore à professer qu’il en est de la démocratie comme il en est de la technique moderne, à savoir qu’elle est bonne quand elle est utilisée à des fins légitimes, et mauvaise quand elle est subordonnée à des fins perverses. Tout dépendrait, dit-on, de ceux qui votent; il suffirait de les convertir à la vérité pour que la vérité fût démocratiquement promue au rang de principe d’organisation de la société.

La démocratie n’est pas un chapeau vide

En vérité, et en dépit des apparences, la démocratie n’est pas une forme de gouvernement qui serait neutre, et dont le contenu dépendrait uniquement du bon vouloir des votants. La démocratie n’est pas une forme d’expression qui serait vide de contenu ; elle a, si l’on peut dire, un contenu bien déterminé en raison de son vide même.

Expliquons-nous. La démocratie clame : « Je suis chapeau vide, car c’est le peuple, et lui seul, qui décide de ce qui en sortira. C’est ça la souveraineté populaire ».  Mais qu’est-ce que la souveraineté populaire, si ce n’est l’affirmation selon laquelle le pouvoir procède du peuple (donc de l’homme) qui en est l’origine, le détenteur, et qui peut en user comme bon lui semble ? Par conséquent, la démocratie n’est pas un « chapeau vide », bien au contraire ; ne reconnaissant comme légitime que ce qui émane de la subjectivité des votants, elle exclut, par essence, tout ce qui s’oppose au dogme de la souveraineté populaire. Autrement dit : elle exclut tout ce qui se présenterait telle une exigence morale et politique vouée à limiter cette subjectivité en vue d’une cause supérieure juste.

Il en est de même lorsque, dans un domaine voisin, la démocratie clame: « Je suis un chapeau vide, puisque le peuple est libre, libre de choisir ses représentants, libre de se donner les lois qu’il souhaite, libre de les changer etc. » Comment ne pas voir que si la liberté est le fondement des valeurs, c’est qu’elle leur est supérieure, donc qu’elle exclut l’autorité de toute valeur ? Parce que la démocratie fait de la liberté son principe, et parce qu’elle considère cette liberté comme fondatrice des valeurs, alors la démocratie exclut par principe, quel que soit le choix des votants, la promotion de valeurs dites supérieures qui limitent d’une façon quelconque la liberté humaine.

Dès lors, la conclusion s’impose :

1°) en soumettant à l’arbitraire des volontés individuelles la nature du bien et du mal, du vrai et du faux ; en affirmant que cette nature est décrétée par l’expression populaire définie comme résultante du conflit des libertés individuelles supposées souveraines ;

2°) en faisant du peuple le sujet du pouvoir, et du décompte des voix individu elles l’expression de la volonté générale (ou volonté supposée légitime du tout social pris comme tout); la démocratie rejette par principe l’existence d’un ordre naturel dont l’homme n’est pas le créateur et auquel sa liberté doit se conformer. Par conséquent, elle écarte dès le départ la vraie droite du pouvoir et n’accepte comme légitime que la gauche (dont la fausse droite fait partie).

Voilà pourquoi le 21 avril 2002 au soir, de nombreux politiciens et analystes ont pu tranquillement affirmer que le résultat du premier tour de l’élection présidentielle française n’était pas conforme à la démocratie. Et voilà pourquoi il y a quelques semaines, Jean-Pierre Raffarin a pu déclarer qu’une victoire du FN dans la région PACA « poserait un problème de démocratie ». Au sein de la vraie droite, beaucoup se sont offusqués en entendant de tels propos; ils ont accusé leurs auteurs de ne pas être de vrais démocrates. Ils se trompent. Comme nous venons de le démontrer, ces prises de position sont parfaitement conformes à la démocratie.

Se prétendre démocrate uniquement par stratégie est inefficace

Notons d’ailleurs que les ennemis de la vérité savent immédiatement pressentir, d’où qu’il vienne, le dévoilement de la vérité dangereuse pour leur cause. Plus simplement, ils savent toujours « d’où vient le vent ». Ce rappel est nécessaire car au sein de la vrai droite, de plus en plus de personnes jugent nécessaire de se servir des « valeurs» de la démocratie : « Afin de promouvoir la défense de l’identité nationale, disent-elles, faisons-nous les champions de la démocratie illimitée, de la liberté d’expression sans entraves, des droits de l’homme et de l’antiracisme. Mettons-nous à épouser sans retenue les thèmes de nos ennemis. Ainsi pourrons-nous les déstabiliser, contrecarrer leur propagande et ratisser plus large ».

Cette rhétorique machiavélienne à prétention dialectique est souvent vue comme le sommet de la finesse en matière de stratégie. Mais elle reste au fond inefficace, voire dangereuse, et cela pour trois raisons.

A) Tout d’abord, parce que les ennemis de la vraie droite auront tôt fait de dénoncer en ces naïves entreprises une opération de subversion; opération qu’au nom même de la démocratie, des droits de l’homme, de la liberté d’expression et de l’antiracisme, ils s’empresseront d’écraser.

Certains pourront nous répondre que, justement, le choix stratégique exposé plus haut permet de contraindre les démocrates à se démasquer et à révéler leur hypocrisie, ce qui fera ouvrir les yeux à beaucoup. Nous leur rétorquerons que si c’était vrai, le peuple aurait dû ouvrir les yeux depuis longtemps, et en tous les cas depuis le 5 mai 2002, ce qui n’est pas. Il y a plusieurs explications à cela :

1°) S’appuyant sur le cortège des fausses valeurs ci-dessus évoquées, les démocrates peuvent déclarer en toute bonne conscience et faire accepter au peuple – ce qu’ils ont déjà fait:

– que la démocratie est en droit de se défendre non démocratiquement lorsqu’elle doit se sauver des attaques des non-démocrates;

– que la démocratie ne fonctionne qu’avec des démocrates, et que tous les coups sont permis, lorsqu’il est question du salut du paradis démocratique, au détriment des nostalgiques réels ou supposés de la « Bête immonde ».

A ce sujet, rappelons que l’article 17 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme énonce:

Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits ou libertés que celles prévues à ladite Convention.

Plus clairement: « Vous ne pouvez pas invoquer les droits de l’homme pour les détruire ou, même, les restreindre » ; soit : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté »

2°) En outre, un démocrate peut toujours user contre ses ennemis de procédés non démocratiques, parce qu’il a beau jeu de rappeler qu’il se contente d’appliquer aux non-démocrates les procédés qu’ils promeuvent eux-mêmes;

3°) Enfin, c’est seulement du point de vue de l’homme de droite qu’est recevable la réfutation bien connue selon laquelle la démocratie fait l’aveu de sa contradiction intrinsèque en usant de procédés non démocratiques pour combattre les ennemis de la démocratie (autrement dit : en se reniant formellement pour se préserver matériellement).

Cette réfutation de la démocratie par elle-même n’est pas recevable par l’homme de gauche, parce que le propre de la pensée de gauche est de se fonder sur l’utopie et sur le sentiment. L’homme de gauche considère que la légitimité de la démocratie, vécue comme un impératif religieux, n’est pas liée aux exigences de la pensée logique.

Voilà pourquoi la stratégie qui consiste à jouer hypocritement le jeu de la démocratie pour pousser les démocrates à se contredire se révélera toujours inefficace.

B) Allons cependant plus loin, et supposons qu’un jour, les démocrates renoncent à user contre leurs adversaires de procédés non démocratiques. En jouant hypocritement le jeu de la démocratie, l’homme de droite se fera tout de même piéger. En effet, la liberté d’expression prônée par les démocrates, dogmatisme de la tolérance, n’est applicable qu’aux démocrates, parce que les démocrates et les ennemis de la démocratie n’ont pas la même conception de la liberté d’expression. Et ils n’en ont pas la même conception parce qu’ils n’ont pas la même conception de la liberté elle-même.

Pour l’homme de droite, être libre ne consiste pas à faire ce que l’on veut, mais à faire ce qui est conforme à l’ordre naturel voulu par Dieu. Cette assertion pourra en surprendre plus d’un, mais elle est aisément démontrable: pour l’homme de droite, un acte est libre s’il a été décidé après un jugement qui doit nécessairement faire appel à l’autorité de la raison (voilà pourquoi les actes imposés ou commis sous l’emprise de la folie ne sont pas libres, donc pas imputables à celui qui les a commis). C’est pourquoi la volonté n’est plus libre aussitôt qu’elle se soustrait à la raison. Mais nul acte n’est raisonnable s’il n’est pas conforme à l’ordre des choses. Donc, la volonté n’est libre que si elle plébiscite l’ordre des choses. Autrement dit: la liberté consiste à faire non ce que l’on veut, mais ce qui est conforme à l’ordre naturel.

Pour l’homme de gauche, il en va tout autrement. La liberté chez lui est monstrueuse, car c’est une liberté qui sert la tyrannie du Moi, une liberté pour le terrorisme de la subjectivité arbitraire émancipée de l’ordre naturel. Dans son esprit, donc dans l’esprit du démocrate, la liberté est le pouvoir de se fixer les fins qu’on décrète bonnes, ainsi le pouvoir d’inventer sa nature: la liberté, nous apprend la sacro-sainte Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (art. 29, al. 2), est le pouvoir de faire tout ce qui ne nuit pas autrui, ce qui revient à dire que tout est permis pourvu qu’on ne fasse que ce qui est compatible avec les décrets d’autrui ; autant dire qu’une bande de voyous organisée selon les principes de la voyoucratie est parfaitement respectueuse du catéchisme laïc.

Si la droite s’empare du concept, propre à la gauche, de liberté d’expression, alors elle se fera piéger par son machiavélisme à finalité honnête, pour cette raison que, dans les faits, l’homme de droite devra renier tout ce qu’il croit et, fatalement, accepter les règles du jeu de la démocratie. Or, nous avons vu que ces règles l’excluent dès le départ. Voilà pourquoi jusqu’à présent, les membres de la vraie droite qui ont voulu honnêtement jouer le jeu de la démocratie (c’est-à-dire qui n’ont pas annoncé préalablement leur intention de l’utiliser pour la détruire aussitôt arrivés au pou voir) ont toujours échoué: soit ils n’ont jamais pris le pouvoir (comme le FN en France), soit, s’ils l’ont pris, ils ont été amenés à renier leurs convictions et, ainsi, à gouverner comme les autres (voy. le cas de Fini en Italie et de Haider en Autriche).

Mais il existe une troisième raison, encore plus grave.

C) On croit trop souvent que les adhésions officielles ne sont rien en comparaison des convictions intérieures réelles. Ainsi nombreux sont ceux qui pensent que l’attachement à l’idée démocratique, « ça ne mange pas de pain », et que tout dépend du contenu que l’on investit en cette idée. Raisonner de cette façon revient à méconnaître que, contrairement à ce que pense l’homme de gauche (qui toujours, en termes techniques, est un nominaliste), les idées ne sont pas de simples images vaporeuses ou des symboles tenant lieu dans le langage des choses singulières qu’elles se contenteraient de représenter ; les idées sont la manière d’exister, dans la pensée, de la raison intelligible des choses. Elles ont donc un poids, une force et une logique propres. Lorsqu’un esprit pense en et par une idée, c’est en vérité l’idée qui pense en lui et qui le fait ployer sous le poids de sa réalité. Par conséquent, lorsqu’on se laisse habiter par une idée, cette dernière en vient nécessairement à déployer ses exigences dans la tête de celui qui l’adopte, quand bien même de telles exigences se révèlent finalement incompatibles avec les mobiles ayant, au départ, présidé à son adoption.

C’est l’une des raisons pour lesquelles ceux parmi les membres sincères de la vraie droite qui ont voulu faire de l’ « entrisme » ont finalement rejoint les rangs de la fausse droite, voire de la gauche. Ils ont été contaminés par les idées qu’au départ, ils prônaient pour des raisons d’opportunisme.

Il résulte des considérations qui précèdent que la forme démocratique d’expression et de gouvernement peut à la rigueur, dans certaines circonstances, promouvoir le magistère des valeurs de droite, mais qu’elle ne peut en aucun cas y parvenir en faisant l’économie d’une révolution, qui ne sera pas pacifique, parce qu’il s’agira d’une révolution dirigée d’abord contre la démocratie elle-même.

La démocratie ne peut permettre l’expression d’une volonté droite

Certains pourront nous objecter qu’en soi, la forme démocratique de gouvernement n’exclut pas l’expression d’une volonté droite. S’il en était ainsi, il y a bien longtemps qu’un gouvernement de droite (de vraie droite) serait parvenu au pou voir et s’y serait maintenu sans faire de concession. Or, l’Histoire nous enseigne que ce n’est pas le cas; rien de bon n’est jamais sorti de la démocratie (il n’en sort que le désordre et la confusion), sauf lorsque ceux qui en ont usé ont annoncé qu’ils entendaient la détruire, et ainsi ne la faire fonctionner que contre elle-même. Ce simple constat suffirait pour répondre à l’objection développée ci-dessus. Mais quelques explications supplémentaires s’imposent.

Nous avons vu que pour l’homme de droite, le vrai et le faux, le bien et le mal ne sont pas le résultat d’un choix personnel, mais d’une volonté supérieure qui les a fixés à jamais. Or, même à supposer que les citoyens votent « bien », en fait ils votent toujours mal en démocratie, parce qu’en elle ils ne sont pas supposés adhérer à la bonne cause en vertu de sa vérité objective intrinsèque, mais bien plutôt parce qu’ils l’ont choisie pour les motifs les plus divers. Par conséquent, celui qui prétend promouvoir la vérité et l’ordre naturel des choses grâce à la démocratie, dénature la vérité puisqu’il fonde tacitement sa valeur non sur elle-même mais sur le nombre qui, par accident, y consent (donc sur un pur arbitraire). L’homme de droite doit se rendre à l’évidence : on ne peut pas faire dire la vérité à une forme qui de soi l’exclut. Voilà pourquoi, quels que soient les hommes qui l’animent, la démocratie n’engendre que désordre et confusion.

Dans un registre voisin, l’homme de droite doit savoir que la neutralité n’est jamais neutre, parce qu’il n’y a pas de neutralité dans ce qui concerne l’opposition du bien du mal. La neutralité est déjà le refus (donc quelque chose d’éminemment engagé) de ce à quoi un être est destiné par nature. Et puisque nous nous sommes engagés sur le terrain de la religion, rappelons que, quoique gratuite (ainsi non naturellement exigible) et strictement surnaturelle, la grâce qui donne la foi est telle qu’il est contre nature de refuser la foi (voy. saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ila Ilae qu. 10 a.l). C’est au reste pour cette raison que la laïcité supposée neutre est un mensonge: elle est déjà, en tant même que neutre, une profession de foi athée. Les francs-maçons et les communistes, qui dirigent le ministère de l’Éducation nationale depuis plus d’un siècle, ne s’y sont jamais trompés.

Telles sont les raisons pour lesquelles l’homme de droite doit renoncer à exercer démocratiquement le pouvoir sous peine de renier la doctrine qui l’inspire.

L’illusion de la « démocratie chrétienne »

Mais certains voudront encore trouver une voie médiane en tentant de faire rentrer l’idéal démocratique dans la philosophie de l’homme de droite. Pour cela, ils distingueront la démocratie dite chrétienne de la démocratie athée. Ils dissocieront le régime démocratique du dogme de la souveraineté populaire, limitant ainsi la compétence politique et morale de la multitude à la désignation du sujet du pouvoir, tout en maintenant que l’autorité procède de Dieu.

Mais, là encore, cette tentative est vaine. Pour deux raisons. Tout d’abord, soulignons que l’idée d’une imperfection congénitale de l’homme, surtout dans l’ordre moral, est peu compatible avec celle d’une compétence politique de la multitude: l’homme médiocre, même de bonne foi, n’élit que ce qui lui ressemble. Ensuite, force est de remarquer que dans cette démocratie dite chrétienne, le droit donné au chef d’exercer un pouvoir ne procède pas vraiment de Dieu, mais de la multitude ; en effet, le droit princier d’exercer le pouvoir dérive, ici, du pouvoir populaire , puisque c’est le peuple qui, par son vote, donne droit à exercer le pouvoir princier. Ainsi une part d’autorité, par là de souveraineté, doit être reconnue au peuple, ce qui revient à avaliser le principe de la souveraineté populaire, fondement de la démocratie athée.

Certains pourront nous répondre qu’au Vatican, les membres du Sacré Collège élisent « démocratiquement » le Pape. Ils en déduiront qu’un groupe peut parfaitement désigner un chef par le vote. Ce parallèle n’est toutefois pas pertinent, parce que les cardinaux n’élisent pas le nouveau pape en vertu d’une autorité qu’ils posséderaient par soi mais au nom d’une autorité qu’ils ont reçue lorsque le pape défunt les a nommés.

Plus généralement, les aspirations populaires politiquement recevables, quand elles le sont, ne sont pas le critère de la légitimité du pouvoir exercé. Elles n’en sont que le signe et la matière, mais non point la cause et la forme. Seul le service du bien commun, dont le chef – nécessairement personnel – a conscience et qu’il incarne, détermine le critère de légitimité du pouvoir politique. Il est donc contradictoire de se proposer de développer une politique de droite quand on revendique la paternité du principe démocratique. »

[Note à propos de la démocratie chrétienne : « L’essence même du concept de souveraineté populaire, c’est en fait, de ne pas recevoir de loi de Dieu : il n’y a pas de loi supérieure aux hommes » (Maxence Hecquard). Donc christianisme et démocratie sont antinomiques.]

*****

Les esprit manichéens et binaires de gauche s’imagineront alors que la droite prône la « dictature ». La droite fonctionne sur un autre modèle : aristocratique, organique, hiérarchique. L’Homme n’est pas perçu comme étant le centre du monde et l’autorité du pouvoir vient de Dieu et non du « Peuple ».

Quelques éléments pour comprendre :

Arnaud de Lassus dans son livre Connaissance élémentaire de la démocratie établit trois grands types de démocratie :
– la démocratie classique, avec ses limites,
– la démocratie moderne, avec son idéologie anticatholique et la « machine sociologique » qui l’impose à tous,
– la démocratie organique et ses avantages.

La démocratie moderne correspond à ce qui est communément appelé démocratie aujourd’hui et qui est la vision de gauche décrite dans cet article. La démocratie classique vise le système de la Grèce antique à Athènes qui est différent de la démocratie moderne et qui était en réalité une oligarchie.

Dans un système de droite ce sera une « démocratie organique » qu’on n’appellera pas démocratie pour éviter la confusion avec la démocratie moderne. On pourrait plutôt parler de participation à la vie publique par exemple.

L’Amiral Paul Auphan nous donne un aperçu de ce qu’est une « démocratie organique » :

« L’idéal, respectant la variété des coutumes et laissant les initiatives locales s’épanouir, serait un système où la commune, le département et la grande ville (considérée comme indépendante du département) auraient, par l’intermédiaire de leurs assemblées élues, une très large autonomie administrative et où le pouvoir central d’arbitrage ne serait fortement représenté qu’à l’échelon de la région ou province.
Il ne faut pas mépriser par principe les consultations électorales, surtout quand il s’agit d’un vieux peuple comme le nôtre, dont la longue histoire a mûri le bon sens et qui votait déjà beaucoup dans les paroisses et corporations de l’ancien régime, avec peut-être plus de conscience que maintenant. Mais il ne faut l’interroger que sur des choses qu’il connaît et qu’il peut juger.
Demander à tous les habitants des communes de France leur opinion sur un projet de constitution, sur la plus habile politique étrangère ou sur la valeur d’un programme de redressement national est aussi vain que de solliciter leur avis sur le meilleur traitement de la typhoïde.
Mais demander à ces mêmes habitants de désigner les meilleurs d’entre eux pour gérer leur municipalité ou pour les représenter auprès de l’échelon correspondant du pouvoir peut faire sortir des urnes, si les passions ne s’en mêlent pas trop, une représentation valable et efficace. « La démocratie, a écrit Rousseau, suppose un État très petit, où chaque citoyen puisse aisément connaître les autres », et je me permets d’ajouter aussi : les questions à débattre. Pour les mêmes raisons, Aristote fixait à cent mille, plafond qui était même à ses yeux chimérique et inimaginable dans la suite des temps, le nombre maximum des citoyens qu’il estimait possible d’administrer démocratiquement dans une même cité.
Le suffrage dit « universel », où l’on interroge tous les électeurs sans distinction sur des personnes dont ils ne connaissent pas assez la vie pour la juger ou sur des questions qui les dépassent, est une caricature du véritable régime représentatif. C’est un des plus mauvais fruits du faux principe d’égalité. C’est une conception simpliste dont on reste étonné que le caractère primaire n’ait pas empêché l’extension. C’est, quand on y réfléchit, une moquerie insultante pour ceux qu’on consulte et dont on exploite la naïveté.
Si l’on veut réellement le bonheur du peuple, il faut le débarrasser de ce mensonge trompeur et oser lui dire qu’il n’est pas « souverain », c’est-à-dire juge en dernier ressort des problèmes politiques les plus ardus : délivré du mensonge de 1789, son bon sens l’admettra aisément.
La vraie démocratie laisse à chacun la possibilité d’influer, à son échelle, sur les institutions. Pour assurer, dans la communauté, la part de responsabilité qui lui revient, tout citoyen doit voter, mais seulement à la mesure de cette responsabilité et de sa compétence. La valeur et la sincérité d’un système électoral s’apprécient à la proportion dans laquelle cet idéal est réalisé. Un système de vote est d’autant meilleur qu’il propose au choix des électeurs, au lieu d’abstractions qui les dépassent ou qui les trompent, des représentants qu’ils connaissent assez pour estimer s’ils méritent ou non leur confiance. Les partis ne se justifient que s’ils ont pour but de faciliter à ces représentants l’exercice de leur mandat dans la liberté de leur conscience, et non de les asservir sous le poids de préjugés plus ou moins intéressés.
En régime de démocratisme, négateur de tout lien spirituel entre les hommes, les partis et les élections entretiennent forcément la guerre civile. Un régime d’honnêteté, respectueux de la conscience humaine, inaugurerait au contraire aisément des techniques électorales n’obligeant pas les Français à jouer la comédie ou à se détester en permanence et inspirant aux véritables élites assez de confiance pour les attirer vers la vie politique, qu’elles fuient aujourd’hui comme un cloaque.
En gros, les chefs ou les assemblées locales (départements, communes, villes, syndicats primaires) pourraient être élus par tous les intéressés ; les assemblées provinciales ou régionales, qu’elles soient politiques ou professionnelles, devraient être élues par les assemblées locales ; la ou les assemblées nationales devraient être élues par les assemblées provinciales. Chaque échelon déléguerait ainsi à l’échelon supérieur, parmi ceux qu’il connaît et pour y étudier les affaires de leur plan, les représentants qu’il croirait les meilleurs. Les qualités d’action et celles de conseil étant différentes, et parfois même opposées, les postes d’action comme ceux de ministre ou de gouverneur ne devraient pas échoir d’office, comme maintenant, à des parlementaires qui, même s’ils sont dignes de représenter ceux qui les ont élus, n’ont en général reçu aucune formation les préparant à administrer et à commander. Ainsi se dégageraient des élites locales, provinciales, nationales, en mesure d’éclairer le pouvoir et de lui servir d’intermédiaire avec le peuple, problème de tous les temps et de tous les régimes. »

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